30 juin 2020

Post-covid ?

Francis Nordemann

Architecte
A l’issue du déconfinement, le statu quo ante sera-t-il la règle ? Il est plutôt probable que nos usages de l’espace sont appelés à changer. Ici et là, des paliers ont déjà été atteints : une belle occasion de réfléchir à la ville dans ce nouveau contexte.  

Le retour de l’individuel
Partout dans la ville, l’épreuve du virus a généralisé des modifications notables des usages de l’espace. Les musées balisent des circuits uniques, les écoles organisent des ratios d’occupation, et l’université est aujourd’hui désertée par un enseignement que les visio-conférences bousculent. L’immobilier scolaire et universitairen’en sortira pas indemne : par abandon progressif, restriction, expansion, redistribution ? Une combinaison de ces options répondra à chaque situation. 

Ce sont peut-être tous les lieux collectifs qui sont éprouvés par la progression de l’individuel. Dans les magasins, dans les gares, une logique de gestion des flux organise files indiennes, distances et circuits balisés ajoutés à l’individualisation hygiénique (masques, bulles vitrées, écrans et hygiaphone). Dans les cafés et brasseries, les subtiles articulations qui vont de l’espace public au domaine privé sont aujourd’hui étanches. Certes, de timides zincs de fortune occupent les seuils pour la vente à emporter, mais les finesses spatiales de la convivialité traditionnelle sont durement affectées.

Sans doute alors faut-il prêter attention à d’autres pratiques qui se font jour et qu’on ne discerne pas encore bien. Quid des services de livraison à domicile, proposant chaque jour des colis alimentaires inventifs qui pourraient renouveler les usages d’une cuisine à la fois familiale et collective ? Et n’oublions pas que si les théâtres et cinémas sont fermés, le ciné drive-in abandonné à Rungis il y a cinquante ans réapparait à Cannes, sur le parking du Palm Beach, et invite Hollywood dans l’intimité de la voiture…

Les logements

Le logement n’a pas échappé aux interrogations en cours. On a tous vu, d’abord, que l’étroitesse de certains logis et le groupement mécanique d’habitats identiques produisait nombre d’aberrations en termes de confort qui s’opposent aux modifications sociales et urbaines en jeu.
Il ne s’agit pas de prôner simplement une augmentation généreuse des surfaces, mais les leçons du moment que nous traversons devraient pousser à retrouver le sens de l’habiter et permettre d’inventer au domicile des espaces propices à la fois au télétravail, à la vie de famille et à la vie sociale. Au-delà de la nécessité d’un seuil partagé, chacun devra pouvoir trouver un coin à soi avec son téléphone ou devant son terminal, et des dépendances de rangement. Des logements traversants et des cuisines en lumière naturelle permettront la ventilation et le renouvellement naturel de l’air, et un prolongement extérieur - une terrasse, un balcon - de mettre le nez dehors, de regarder au loin et de rencontrer son voisin. Une cour privée commune, un jardin réservé étendront et protégeront le domaine habité de chacun.

Pour ce qui est de l’habitat individuel dans le pavillonnaire, l’occasion est peut-être venue de reconsidérer son développement. Car ces sortes de « grands ensembles » à plat gâchent des terres agricoles pour engendrer voies pléthoriques, ronds-points et stationnements dans un environnement forcément automobile. Le pavillonnaire appelle le centre commercial colossal, la cohue et l’engorgement, favorise et pérennise en fait le confinement et la distance sociale comme règle du vivre ensemble. Ce sont des leurres aux valeurs du privé, et des contre-valeurs de la rencontre et de la convivialité urbaine.

Or les mesures de confinement, imposant le kilomètre de déplacement autour du domicile, ont pour beaucoup révélé la richesse des parages, la saveur des explorations au pied de chez soi, la redécouverte des qualités du voisinage. C’est-à-dire certains des principes même de la vie urbaine.

Maintenant
Après deux mois chacun chez soi, le monde ne sera certainement plus le même, et nous ne sortirons pas de ce moment comme nous y sommes entrés, car nombre d’écosystèmes sont profondément affectés, peut-être durablement. Des réflexions émergent pour anticiper l’après crise et envisager des réponses collectives et concertées aux questions d’aménagement des territoires. Il s’agit maintenant de se mettre au travail pour concilier la maison et la ville, le collectif et le privé,le bureau et le logement, le commerce et la rue, tout en intégrant la densité et en enrichissant la proximité des centres.

Francis Nordemann, Juin 2020