30 juin 2020

Ce qu’on n’a pas fait hier

Elizabeth de Portzamparc

Architecte et sociologue

Dans l’histoire, les épidémies ont joué un rôle primordial dans les transformations économiques et sociétales, comme la peste qui a généré l’abolition du servage, l’apparition d’une bourgeoisie urbaine, et a ainsi provoqué l’avènement de la période Moderne. 


Espérons que cette épidémie produira la nécessaire transformation de notre modèle économique vers la transition écologique, pour le rendre plus vertueux, plus local, plus solidaire et respectueux de notre milieu de vie ; un modèle capable de retisser les liens entre les hommes et la nature qui ont été perdus en Occident lors des Lumières, comme l’a démontré Philippe Descola.
Nous le savons : cette crise a démarré avec l’impossibilité de certaines usines de développer leurs produits suite au manque des composants industriels fabriqués en Chine, ce qui a démontré le danger de l’interdépendance économique.

Cette pandémie nous a révélé l’urgence de créer une véritable économie locale et de repenser l’architecture en adéquation.

Hier l’architecture globalisée a renié le local, ses savoir-faire, ses matériaux, son histoire.

Aujourd’hui et demain nous avons et aurons ce souci de privilégier une économie de proximité. Il est aujourd’hui possible de concevoir des bâtiments avec de grandes portées, privilégiant des matières premières et des matériaux durables, locaux, produits sur place : une tour de 85 mètres de haut avec sa structure en bois ou en pierres, un hôtel avec des briques de chanvre produites sur place, un centre de conventions et salle de spectacle en béton de terre.

Depuis quelques années, à l’agence, nous faisons des recherches opérationnelles au sein d’un atelier pluridisciplinaire qui diversifie les approches de la ville et de l’architecture par la sociologie, les sciences politiques et environnementales.

L’utilisation des bois industriels dans la construction est déjà aujourd’hui un premier pas vers des constructions plus vertueuses. Comme cela a été fait il y a une vingtaine d’années au Brésil avec succès, nos gouvernements devraient mettre en place demain une production forestière sur tous les territoires avec des bois adaptés à la construction. Sans colle toxique, sans production de CO2
due au transport, les éléments en bois massif seraient fabriqués par des entreprises locales, contribuant ainsi au développement d’une économie de proximité. Et, dans cette méthodologie, le bois constitue un exemple parmi d’autres matériaux.

Hier le fonctionnalisme moderne enseignait la déconnexion entre l’architecture et son contexte. Aujourd’hui, l’architecture redevient locale.

Nous sommes des êtres schizophrènes car notre cerveau est globalisé et notre corps est local et vit en symbiose au sein d’un écosystème. Un bâtiment est un organisme vivant. Pour vivre en symbiose avec son contexte, il doit pouvoir établir tous les liens essentiels qui le rattachent à son milieu de vie, à l’extérieur et à l’intérieur de son volume.

Ce confinement nous a démontré un impérieux besoin de contacts, d’échanges, et les effets délétères du manque de relations sociales.

Nous pouvons repenser la qualité des logements dans la densité urbaine, rendant cette densité agréable à vivre. Cela suppose de proposer des espaces de vie collective généreux, appropriables.

Pour exister, cette appropriation doit, selon moi, s’accompagner de ce que je définis comme étant une « hiérarchie de l’intimité » : une gradation du privé au public, avec, entre les deux, une infinité de variations possibles qui permet de moduler et différencier les usages en toutes circonstances et selon les besoins, que les espaces soient collectifs ou à usage individuel.

Pour finir, cette pandémie a mis en lumière l’immense interdépendance entre les hommes. C’est pourquoi il est nécessaire de rétablir les liens de solidarité qui existaient autrefois dans les villages et dans les villes à l’échelle des quartiers. Ces espaces publics appropriables, capables de rétablir cette vie sociale ancestrale de proximité, doivent constituer à mon sens un objectif prioritaire pour nos projets urbains.

Et nous, grandes agences d’architecture, plus solides économiquement au vu de cette grande crise qui s’annonce, pourrons associer les petites structures à nos projets importants.

Les agences plus fragiles y auront leur place ; elles pourront également bénéficier de nos années d’expérience sur des projets de grande ampleur. Ce serait un noble objectif de solidarité humaine et professionnelle, où le mot « confrère » retrouverait tout son sens. 

Congrès UIA juillet 2021

Je pense que nous sommes nombreux en tant qu’architectes à nous préoccuper de la crise climatique, urbaine, sociale et sociétale et à vouloir chercher des voies et des solutions nouvelles à ces crises.

Ce sujet sera au cœur des débats du prochain Congrès de l’UIA en juillet 2021 à Rio de Janeiro.

En tant que membre du Comité d’Honneur, je sollicite tous les architectes pour venir participer à cet important débat l’année prochaine.

Elizabeth de Portzamparc, Juin 2020


Le Triomphe de la Mort, Pieter Brueghel l’Ancien, 1562. Musée du Prado, Madrid. La peste du moyen âge a généré l’abolition du servage et la naissance de l’ère moderne.


Percement de l’avenue de l’Opéra, Charles Marville, Paris,1853 - 1870. La tuberculose a remodelé Paris au XIXème siècle et a générée une immense spéculation immobilière.

 Avenue de l’Opéra, Camille Pissarro, 1898. Musée des Beaux-Arts de Reims.

Le Congrès International des Architectes à Rio de Janeiro. Juillet 2021.