◀︎  Et demain

31 mai 2020

Le temps de la Ville Accueillante

Cyrille Hanappe et Olivier Leclercq

Si pendant la crise du COVID la plupart des citadins n’avaient plus accès à l’espace public, d’autres, par milliers, ont continué à être condamnés à n’avoir d’autres lieux de vie que la rue. Il y a une infinité de raisons d’être sans abri, mais les changements climatiques à l’œuvre font que les réfugiés contemporains ne se sont plus seulement des migrants d’autres continents : les grands incendies, les glissements de terrain et les crues, les mini tornades et les ouragans…tous ces phénomènes désormais métropolitains sont amenés à se multiplier et vont déloger de manière brutale des populations de plus en plus nombreuses qui devront trouver des lieux de vie alternatifs dans des délais brefs et pour des périodes indéterminées[1]. Ces risques imposent de réfléchir à la forme urbaine dans les réponses qu’elle peut être à même d’apporter.

La ville accueillante marque une volonté de faire évoluer les manières de concevoir la ville pour intégrer non seulement les questions de résilience et de développement durable (économique, social et environnemental), mais également celles de soin et d’attention à l’autre[2]. Si la ville accueillante est capable d’intégrer les gens comme ils arrivent quelles qu’en soient les conditions, elle peut également rebondir, s’adapter et se transformer quand elle est soumise à une contrainte ou une catastrophe. La recherche sur la Ville Accueillante[3], a permis d’identifier un certain nombre de scénarios possibles pour aller dans cette voie qui s’adressent aussi bien à ceux qui arrivent dans les villes, qu’à ceux qui l’habitent déjà.

    1.  Les manières d’habiter autrement, que ce soit dans des squats ou dans des quartiers précaires, doivent être reconnues pour ce qu’elles sont, à savoir des modes de vies à part entière. Si on ne peut considérer que ces typologies constituent des modèles souhaitables a priori, il s’avère qu’elles constituent généralement le moins mauvais compromis pour celles et ceux qui les habitent en attendant de meilleures solutions. Outre les prix d’occupations qui sont généralement très bas voire nuls, les gens y trouvent souvent des services que l’on ne trouve pas dans le logement classique, comme la possibilité de travailler ou de stocker des outils et des matériaux, ainsi que des réseaux sociaux stables et connus. La reconnaissance de ces lieux, même de manière temporaire, constitue une solution au moins transitoire mais demande un accompagnement pour améliorer les conditions de vie en général et y amener au moins les services sanitaires et urbains de base : enlever les poubelles, amener l’eau et l’assainissement, l’électricité…. Cette approche a l’avantage d’être immédiate, de respecter l’existant, d’avoir un impact écologique minimal, d’être intégrée dans les tissus urbains et de s’inscrire dans des continuités aussi bien spatiales que temporelles. Alors que les politiques publiques semblent ne pas trouver de réponses depuis au moins deux décennies, il serait heureux qu’elles ne détruisent pas ce qui existe. Il est à noter que ces pratiques sont engagées avec succès depuis nombre d’années en Amérique du sud et en Asie

     2.  Il serait par ailleurs intéressant de mettre en place dans les villes un réseau de maisons communes qui s’adressent à tous mais en particulier aux derniers arrivés, aux plus précarisés. On y trouverait toute une série de services : des conseils juridiques mais aussi des laveries, de lieux de rencontre ou de travail, des espaces de jeux ou d’apprentissage, tout en offrant des services gérés de manière associative dans des logiques qui dépassent celles des services publics classiques. Inventées également dans les pays du sud, il en existe en France et une fonctionne déjà à Paris dans le sud du 14ème arrondissement[4]. Elles pourraient être multipliées pour former un réseau citoyen dans les villes.

      3.  Une autre approche consiste à construire des quartiers d’accueil, dans la ville, qui ont pour particularité d’être pensés en intégrant trois contraintes qui peuvent sembler contradictoires : rapidité, recyclabilité, mais aussi pérennité. La pensée de l’accueil va trop souvent avec une logique d’urgence qui voudrait que les solutions soient toujours temporaires. L’histoire des camps du monde entier, comme en Palestine, montre qu’il arrive bien souvent que le temporaire s’inscrive dans le temps long. Dans les faits, on arrive quelque part et on se dit qu’on en partira un jour…ce jour n’arrive parfois jamais, mais cette possibilité demeure toujours dans l’esprit de chacun. La construction en bois, rapide, légère mais également pérenne est particulièrement adaptée pour ce type d’approches, comme on l’a vu au centre d’accueil du Point du Jour dans le bois de Boulogne.

      4.  Une approche alternative du développement durable consiste à mettre en place des bâtiments en structure lourde, en pierre ou en béton, dont la conception architecturale inclut dès le début la possibilité de toutes les adaptations : utilisés aujourd’hui comme logements, ils peuvent se transformer demain en bureaux, en établissement de soin ou d’enseignement avec des modifications mineures. Des travaux sur les bâtiments réversibles ont déjà été menés[5] et on sait comment les faire. Les grands bâtiments publics construits au 19ème siècle montrent souvent une telle capacité d’adaptation. Un exemple plus antique existe à travers les basiliques civiles de l’époque romaine qui accueillaient aussi bien des activités commerciales que législatives ou citoyennes, ainsi que des fonctions d’accueil. Richard Sennett[6] parle ainsi de bâtiments synchrones qui servent à toutes heures et à tous usages, qu’il oppose aux bâtiments séquentiels destinés par leur programme à une seule fonction et qui sont donc inoccupés la majeure partie du temps. Parmi ces scénarios, quel est le meilleur ? A l’évidence, ils constituent un faisceau de solutions qu’il convient d’aborder en fonction des réalités de terrain en les panachant, en les détournant pour mieux les adapter aux différents besoins. Ils constituent néanmoins une manière de faire qui ne peut plus être ignorée dans un monde que l’on sait désormais résolument instable.

Cyrille Hanappe et Olivier Leclercq, Mai 2020


[1] Il est d’ailleurs à noter que le COVID a généré des réfugiés d’un type particulier, à savoir les 17% de franciliens ayant fui dans leurs résidences secondaires, soit des centaines de milliers de personnes.
[2] Concept plus souvent utilisé et connu sous sa dénomination anglo-saxonne de care
[3] La Ville Accueillante est un programme de recherche multidisciplinaire mené en 2018. Ce projet multidisciplinaire, sous la direction de Cyrille Hanappe, a réuni Michel Agier, anthropologue, Michel Lussault, géographe, Valérie Foucher-Dufoix, sociologue, Amalle Gualleze, Céline Barré, Michaël Neuman, Franck Esnée, humanitaires, Dorothée Boccara, urbaniste, Bruno Fert, photographe, Antarès Bassis, cinéaste, Raphaël Cloix, designer, Cyrille Hanappe et Olivier Leclercq, architectes.
[4] Gérée par Emmaüs Solidarités avec le soutien de la Mairie de Paris
[5] Patrick Rubin, Canal Architecture, « Construire réversible ».
[6] Richard Sennett, « Bâtir et habiter : pour une éthique de la ville », Albin Michel, 2019