◀︎  Et demain

10 mai 2020

Habiter sans se cogner

Collectif sens



 Les conditions extraordinaires du confinement ont provoqué chez chacun la (re)découverte de son chez soi, de son quartier, de son périmètre de proximité, de ses richesses et de ses faiblesses.

En passant beaucoup plus de temps dans nos espaces domestiques , notre rapport à notre logement se modifie faisant apparaître ses qualités et ses défauts de manière plus intense. L’habitat ne devient plus seulement un lieu de passage, que nous utilisons à temps partiel pour accueillir des besoins primaires tels que dormir, manger, se laver.

Aujourd’hui, les frontières entre nos logements et l’extérieur se floutent. Nos intérieurs ont envie de  s’étendre vers les espaces intermédiaires et communs. Nous  incorporons dans notre sphère intime des usages habituellement externes et urbains. Nous accueillons chez nous les activités  essentielles à nos yeux, qui participent également à notre bien être et ne sont plus assurée par l’espace public, les rez-de-chaussée sur rue, les lieux de rassemblement : La salle de sport, le coiffeur, la terrasse, le cinéma, le théâtre, le musée, etc.

 Et demain, on habite comment ?

« Vivre, c’est passer d’un espace à un autre, en essayant le plus possible de ne pas se cogner. »Espèces d’espaces, G. Perec

Pour ceux qui en doutaient encore, le confinement a définitivement enterré l’idée qu’une pièce devait accueillir une unique fonction. Les salles à manger deviennent tour à tour classes d’école, bureaux, quand les séjours se transforment en salle de sport ou encore que les salles de bain accueillent les salons de coiffure et institut de beauté. Mais, pour faire écho à Georges Perec, comme faire pour ne pas se « cogner » en passant d’un espace, d’un usage à un autre ?

En tant qu’architectes mais avant tout en tant qu’habitants, nous avons requestionné les espaces que nous habitons. Nous avons observé une transformation des usages au sein de nos logements pendant cette période particulière de cris(e)tallisation. Possibilisons, explorons, ,détournons, augmentons, séquençons, créons de nouveaux espaces-temps qui seront autant d’enseignements et d’évolution dans notre pratique architecturale de demain.

Dans cette optique, nous – les cinq architectes du collectif – avons profité de cette vie au rythme singulier  pour porter un regard critique sur nos logements. La variété de nos cinq situations et typologies sont autant de cas d’étude que nous ne pouvions ignorer.

Que nous vivions à deux, à quatre, en colocation, en couple, en famille par alternance, dans un deux pièces haussmannien, dans un quatre pièce faubourien ou dans une maison de banlieue, les adaptations de l’espace diffèrent mais les constats sont identiques : nous avons besoin de créer des contrastes pour faire coexister nos nouveaux modes d’habiter.

Nos contrastes essentiels :

-  S’isoler / Se regrouper
-  Le domestique / Le public
-  L’intérieur / l’extérieur
-  Travailler / Se divertir

Quand avant, une pièce correspondait grosso modo à un usage, il n’est aujourd’hui plus possible de se limiter à cette vision. Alors que nos surfaces intérieures sont de plus en plus petites, les usages se multiplient et se superposent aux besoins déjà existants. 

Il est facile d’imaginer que l’aménagement de ces contrastes est d’autant plus difficile que les espaces sont restreints, ces derniers demandant des astuces ou des adaptations plus fortes. Le confort devient alors l’espace, avec comme privilège premier la possibilité d’un accès à un extérieur privatif.

Demain, ces thématiques seront autant des points d’attention à prendre en compte dans la conception de logements neufs, en particulier dans les espaces de vie.

Cet aujourd’hui particulier nous apporte également un enseignement ambivalent : c’est davantage en tant qu’habitant qu’en tant qu’architecte que nous avons amplifié, questionné et modifié nos usages, ainsi que le rapport du corps à l’espace restreint.

Au final, l’architecte peut-il et doit-il prévoir la multiplicité des nouveaux usages qui s’offrent à nous ? Comment réussir à faire un projet adaptable et appropriable par le plus grand nombre?

Collectif sens, Mai 2020