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5 mai 2020

Construire Moins, Penser Plus, vers une architecture de la post-croissance

Rico d'Ascia

Architecte HMONP
La crise telle qu’elle nous apparaît nous met face au fait accompli, la production architecturale s’arrête, ou a minima ralentit quand la société est contrainte à l’enfermement. Notre résilience est mise au défi par la suspension de nos modes de vie et cette période nous pousse à nous questionner sur l’après confinement. Nous espérons que notre pratique apportera des solutions qui produiront un ersatz de retour à la normale tandis que la rupture semble consommée. Comment redéfinir un nouveau paradigme pour que l’architecture intervienne dans le changement de modèle qui est en cours ?

Construire pour construire !

Si la nécessité de construire pour un architecte est indéniablement liée à la volonté de concrétisation du projet d’architecture, la construction conditionne également l’équilibre économique d’une agence. En ce sens, être architecte nous lie fatalement à la notion de croissance. Ce mécanisme pousse le professionnel à intégrer une chaîne de valeurs qui est en phase avec la société telle que nous la connaissons. Certains dirons que l’architecte s’occupe également de la rénovation, de l’entretien, et de la reconversion des bâtiments existants, et que par conséquent une certaine pratique est autonome de la construction de nouveaux bâtiments. Il semble néanmoins difficile d’imaginer une société humaine qui ne se caractérise pas par son architecture. Celle-ci, comme outil symbolique sert le moment présent, et l’architecte qui en est le principal créateur existe parce qu’il construit.

Une crise pour repenser l’architecture

Dans cette crise, nous avons tendance à chercher les remèdes aux symptômes sans nous questionner sur le nouveau regard que peut nous apporter la situation. Nous voyons apparaître en réponses aux maux que nous vivons (manque d’espace, manque d’usine, qualité des logements trop faible, etc.) des remèdes clés en main. Mais nous n’interrogeons pas la place de notre discipline ainsi que celle de notre profession dans le « monde d’après ». Le moment tel qu’il est, apparaît comme une charnière entre deux époques, et dans ce sens, il est important d’utiliser la crise, non pas pour chercher ce qui est bon pour l’architecte, mais ce que nous souhaitons pour l’architecture.

Post-croissance et création architecturale

La création d’une société de post-croissance, terme qui impose un changement sans pour autant n’être que le négatif de la croissance, implique un changement global de la société qui nous pousse à définir un nouveau champ d’action. Ainsi dans une telle société, l’architecture devra retrouver le sens narratif incarné par la discipline. Dans le monde d’avant la crise, selon le programme et le lieu d’implantation, les bâtiments revêtaient une symbolique différente notamment due au fait que la société distingue l’œuvre du bâtiment pratique. Pour le bien de l’architecture, nous réfléchirons à réintégrer l’architecte dans cette chaine de valeur tout en laissant une liberté accrue à la société d’intervenir sur son environnement bâti, pour que la poésie soit partie prenante de notre façon d’habiter le monde.

De plus, nous devons prendre conscience que la propagation de l’architecture sur le territoire n’est pas compatible avec une société de post-croissance. L’architecte devra se résoudre à un changement de paradigme, et trouver sa place dans un système plus vertueux. Les solutions portées par la discipline visant à proposer de meilleurs logements, à repenser de nouvelles infrastructures adaptées aux nouvelles mobilités ou à isoler les bâtiments pour diminuer leur consommation d’énergie ne suffiront pas à résoudre la problématique qui nous anime en ce temps de crise. Bien que chacune de ces propositions soient salutaires et indispensables, chacune d’entres elles proposent des réponses mais n’opèrent pas la mutation nécessaire pour rebâtir un système plus en phase avec la société.

Construire Moins, Penser Plus !

C’est pourquoi la proposition est de réfléchir à une inflexion du mode de production de l’architecture, et à accepter que l’on construise moins. Ainsi, nous oublierons les réflexions sur ce qui est bon pour la profession (l’architecte), et nous nous concentrerons sur ce qui est bon pour la  discipline (l’architecture).

L’architecte acceptera que le sens de sa profession puisse s’éloigner de l’acte de bâtir, et qu’il puisse se positionner et agir en qualité de sachant et ainsi fournir un conseil au long cours. De fait, son action se rapprochera des programmes dont il est aujourd’hui éloigné. En faisant comprendre que le conseil de l’architecte pourra faire naître le désir d’architecture, alors, les architectes pourront garder un lien étroit avec les attentes de la société, et sortir de l’image qu’ils portent parfois d’artistes déconnectés de la réalité.

Le temps libéré par la raréfaction de la commande (obligatoire en temps de crise) poussera les architectes à réfléchir sur les moyens d’intervenir sur l’architecture. La nécessité de réorganisation de la profession nous mènera ainsi vers un nouvel équilibre. Penser plus, intime aux architectes de se confronter à un monde en changement, tout en les mettant en garde de l’isolation disciplinaire que peut entrainer un tel exercice.

En gardant un lien dénué de séduction avec les décideurs, l’architecte aura la chance de penser l’architecture en se nourrissant du contexte plus que de la discipline. En ne cherchant plus nécessairement à construire, à faire œuvre, il préconisera une construction uniquement lorsque celle-ci est nécessaire et indispensable. Ainsi, les architectes accepteront que leur rôle change et, dans ce sens, qu’ils doivent proposer une nouvelle narration autour de la pratique architecturale offrant la possibilité de penser la matrice du monde qui nous entoure.

Rico d’Ascia, Mai 2020