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29 avril 2020

Règles pour le parc humain

Philippe Rahm

Architecte

© Plan d’urbanisme pour le nouveau quartier de Farini à Milan, Philippe Rahm architectes, OMA, Laboratorio Permanente

Face à la crise climatique et sanitaire actuelle, architectes, urbanismes et paysagistes sont en train de profondément revoir leurs stratégies de projet. En voici, en résumé, les mesures essentielles :

Architecture :
-Isoler thermiquement les bâtiments d’une laine d’un coefficient lambda λ inférieur ou égal à 0,035 Wm-1.K-1.
-doubler les structures porteuses des bâtiments de laine de coefficient lambda λ inférieur ou égal à 0,035 Wm-1.K-1 d’une épaisseur d’un minimum de 20 cm pour atteindre un coefficient de conduction thermique U inférieur ou égal à 0,15 W/(m2.K).
-Isoler par l’extérieur pour éviter les ponts thermiques qui ruinent immédiatement l’effet isolant de l’épaisseur de laine d’un coefficient de conduction thermique U inférieur ou égal à 0,15 W/(m2.K).
-En France, où la température annuelle moyenne est de 11,5°Celsius, la priorité doit être donné à la lutte contre le froid, car il y a plus de jours où l’on doit se chauffer (pour atteindre les 21°C du confort humain) que de jour où il fait trop chaud, donc plus de jours où l’on va devoir allumer le chauffage que de jour où l’on peut l’éteindre. Il faut donc limiter en priorité l’énergie dépensée pour le chauffage des bâtiments.
-Pour éviter le refroidissement en intérieur du corps par conduction, on choisira des matériaux de sol à faible effusivité thermique.
- Pour éviter le refroidissement en intérieur du corps par radiation, on choisira, pour les murs intérieurs des façades, des matériaux à faible émissivité thermique.
- Pour que le corps bénéficie de la chaleur apportée par les radiateurs aux cloisons intérieures, on les construira avec des matériaux à moyenne ou haute émissivité thermique.
-Pour éviter un gaspillage par convection de la chaleur qui naturellement monte et stagne au plafond, on placera les programmes où l’on se déshabille et/ou où l’on est mouillé en hauteur, tandis que les programmes où l’on reste habillé et/ou où l’on est en activité physique plus intense seront en bas.
-Toutes les poignées de portes et de fenêtres seront en laiton qui a la propriété de rendre inactif le coronavirus en quelques minutes.
-Parce que les émissions de gaz à effet de serre sont, pour les 2/3 émises durant le fonctionnement du bâtiment principalement lorsque l’on se chauffe, et pour 1/3 durant la construction et par la fabrication et le transport des matériaux de construction, on se préoccupera d’abord de limiter l’énergie consommée par le bâtiment durant sa durée de vie, et ensuite on se préoccupera du choix des matériaux de construction.
-On abandonnera tous les produits et matériaux de construction contenant du formaldéhyde, classé comme cancérigène certain en 2004 par l’OMS.
-On remplacera toutes les fenêtres existantes en simple vitrage par du double vitrage au minimum.

Urbanisme :
-Afin de diminuer en été la chaleur stagnante et croissante à cause de cette stagnation justement, on concevra les rues comme des passages à vent qui, par échange thermique convectif, refroidiront les espaces publics et les passants à la manière d’un ventilateur ou comme lorsque l’on souffle sur une cuillère à soupe chaude pour la refroidir.
-Pour éviter les accumulations, dans les rues ou les places, des particules fines PM2.5, classés comme cancérogènes avérés en 2012 par l’OMS et responsables d’AVC, on fera passer le vent pour dissiper et évacuer les concentrations de particules fines.
-On ne confondera plus pollution de l’air aux particules fines et réchauffement climatique par émission de CO2 lequel n’a aucun effet polluant lors de la respiration par les humains.
-Toutes les surfaces horizontales de la villes (routes, trottoirs, toitures) seront clairs ou blanche, afin de renvoyer dans un effet de rebond, les rayons calorifiques du soleil vers le ciel pour éviter une surchauffe de la ville par radiation en été.
-Les surfaces verticales les plus en hauteur des bâtiments (dernier étage) seront sombres ou noires, afin de constituer des pièges pour les rayons calorifiques du soleil, pour empêcher la chaleur de descendre dans les rues, en la piégeant en hauteur pour qu’elle se dissipe en altitude, sans atteindre les passants.
-On concevra les places publiques autour de l’évaporation d’eau par des fontaines quand cela est possible selon le bilan hydrique, afin de rafraîchir durant les canicules l’espace et les gens par le changement de phase physique de la forme liquide à la forme gazeuse de l’eau qui requiert alors de l’énergie qui est prise à l’air, faisant baisser sa température.
-On choisira, pour les façades extérieures des rez-de-chaussée, des matériaux à faible émissivité pour ne pas doubler par radiation l’apport de chaleur en été déjà élevée à cause des échanges par conduction entre l’air chaud et le corps.
-On revalorisera les espaces publics selon leur valeurs climatiques réelles selon des critères de convection, de radiation, de conduction.
-On concevra des bâtiments publics selon des valeurs climatiques réelles, comme l’ont été conçus autrefois l’église pour se rafraîchir ou le café pour se réchauffer.

Paysagisme:
-Valoriser le paysagisme comme science de gestion des eaux et des inondations.
-On plantera des arbres en ville pour diminuer l’apport radiatif de chaleur sur les passants en été, qui est de l’ordre de 50% du bilan thermique du corps humain, à côté des échanges convectifs et conductifs. Mais on fera attention de planter des arbres aux feuilles de couleurs clairs comme des peupliers argentés, afin d’éviter de surchauffer la ville en hauteur de la canopée, ce qui arrive avec les arbres aux feuilles de couleurs sombres, 5% de l’énergie solaire reçue par ces arbres étant absorbées par la photosynthèse, 10% étant réfléchie, le reste produisant de la chaleur.
-On renoncera aux moteurs des véhicules de transport émettant des particules fines 2.5.
-On plantera en ville, pour tenter de diminuer la pollution aux particules fines, des résineux, seuls capables de fixer les PM2.5.
-On aura conscience qu’il faut 270 arbres pour absorber le CO2 émis aujourd’hui par une seule personne.

Aménagement du territoire:
-En proportion avec les terres agricoles nécessaires, on abandonnera à la vie sauvage des parties du territoires, non entretenues par l’homme, afin de laisser à la faune et à la flore un territoire primaire où peut s’épanouir une dynamique non-humaine permettant un réservoir et une dynamique de la biodiversité nécessaire peut-être un jour à notre propre survie.
-On pensera le rapport ville-campagne en termes thermodynamique de régime de brise, capable par des différences de températures, de générer des vents capables d’évacuer la chaleur urbaine estivale.
-On repensera l’implantation des villes ou leur développement urbain selon leur altitude en fonction d’une hausse minimum de 4°C de la température d’ici 2100, en sachant que la température décroit 0,65°Celsius par 100 mètres ascensionnés.

Enseignement:
-Chaque école d’architecture, d’urbanisme et de paysagisme mettra en place un programme de professeur invité sur deux ans sur des thématiques inattendues, inactuelles, singulières, non conventionnelles, non fléchées, portées par le professeur invité, qui pourront peut-être un jour se révéler conventionnelles et attendues.
-Les études de genre et les études postcoloniales seront intégrées aux cours d’histoire de l’architecture.
-On réengagera dans les écoles d’architecture, d’urbanisme et de paysagisme les sciences naturelles à côté des sciences humaines.

Philippe Rahm, avril 2020



[1] Ce titre reprend celui du livre du philosophe allemand Peter Sloterdijk « Règles pour le parc humain », paru en 2000 en France aux Éditions Mille et une Nuits.