◀︎  Et demain

20 avril 2020

Après la crise, la densité quantitative doit laisser place à la densité sensible

Jacques Ferrier

Architecte

« Vous avez dû vous rendre compte qu’il n’y a plus personne en ville. Plus que moi. Tout le reste est allé s’installer dans les champs, au grand air, dans les collines avoisinantes. »
Jean Giono, Le Hussard sur le Toit

La situation extraordinaire actuelle ne peut que faire réfléchir sur la planète urbaine que nous avons créée. La ville dense, élevée en modèle de ville durable, notamment pour l’optimisation des transports et l’intensification de la vie sociale, est aujourd’hui au cœur de la crise sanitaire. Et c’est précisément sa densité extrême qui est la cause de la paralysie complète de la vie collective et économique : les puissantes métropoles ont été stoppées net. Quant au vieux réflexe du repli à la campagne, même marginal, il a démontré un instinct de défiance vis-à-vis d’un milieu urbain qui n’était plus protecteur.

Or, la crise actuelle ne sera pas une exception. La catastrophe environnementale annoncée a été prise de vitesse par le cataclysme sanitaire, mais c’est au fond un seul et même problème auquel notre société technique globalisée doit se confronter. S’il advient dans un futur proche un stress global dans le domaine de l’énergie, du climat, ou de la disponibilité de l’eau potable, nul doute que les conséquences pour les grandes villes seront à peu près semblables à celles causées par la pandémie actuelle. Notre modèle de ville doit être repensé.

Ce sont déjà des crises sanitaires qui, au 19ème siècle en Europe, ont conduit à la reconstruction quasi-complète des grandes villes. La lutte contre la tuberculose endémique et la peur de la récurrence des grandes épidémies de choléra, qui frappaient indistinctement une société entière, et dans tous les pays, ont mobilisé dans un même élan architectes, scientifiques, et politiques autour de l’invention de nouveaux modèles urbains et architecturaux. Le courant hygiéniste est à la source de l’urbanisme contemporain. Mais, un siècle et demi plus tard, démesurément démultipliée à l’échelle d’un monde globalisé et hors tout contrat naturel, cette façon de faire est à son tour dépassée.

Le réveil après la crise du Covid 19 risque d’être difficile : il faut s’attendre à la grande désillusion vis-à-vis des métropoles qui, dans l’adversité, ont trahi leurs habitants. Mais il ne s’agit pas de rejeter la civilisation urbaine, bien au contraire. Les problèmes ont été créés par les villes, ce sont les villes qui doivent apporter les solutions. Quelles seront-elles ? il est trop tôt pour le dire. Mais préparons-nous dès à présent : l’après pandémie nous imposera de travailler et de penser différemment. Plus que d’innovations providentielles, nous avons avant tout besoin de réévaluer des choses qui étaient devenues négligeables et dont la crise nous a montré qu’elles étaient en fait essentielles. La notion de densité urbaine va se nuancer de paramètres multiples, intégrant les espaces naturels, la biodiversité, l’agriculture, le climat. Quant aux espaces construits ils doivent pouvoir se redéployer, se mutualiser, se redéfinir en fonction des situations. Allons vers une densité vécue : hybride, adaptable et partagée. La densité quantitative doit laisser place à la densité sensible.
Ressources, climat, santé, extinction des espèces sont les faces diverses d’un même défi pour les métropoles : il est urgent de concevoir un environnement urbain en résonance avec la planète.

Jacques Ferrier, Avril 2020