Daniel Libeskind

World Trade Center, New York

Conférence du 25 septembre 2003

Les fondations de la mémoire

Je suis arrivé à New York par bateau ; adolescent et immigrant, comme des milliers d'autres avant moi, ma première vision à mon arrivée fut la Statue de la Liberté et le panorama impressionnant de Manhattan. Je n'ai jamais oublié ni cette impression ni sa signification ; c'est tout ce que ce projet incarne. 

Lorsque j'ai commencé à travailler sur ce projet, les new yorkais étaient divisés sur l'idée de laisser le site du World Trade Center vide ou bien de le réinvestir et donc de le reconstruire. J'ai médité longuement à cette dichotomie obsédante. Rendre hommage aux morts horribles apparues sur ce site tout en regardant vers l'avenir avec espoir étaient deux visions contradictoires. 
Je me suis mis à rechercher une solution pour rassembler ces points de vue apparemment contradictoires dans une forme d'unité inimaginable au préalable. Je me suis donc rendu sur le site ; j'y suis resté afin de voir les gens marcher tout autour, de ressentir leur présence et d'écouter leurs voix. Et voici ce que j'ai entendu, senti et vu. 

Les murs de soutènement des deux tours, merveille d'ingénierie construite sur des roches solides destinées à retenir l'Hudson River, sont les élémentsles plus poignants qui ont survécu à l'attentat du 11 Septembre. Ces fondations ont résisté au traumatisme inimaginable de la destruction et restent là, aussi éloquentes que la Constitution des Etats-Unis elle même, affirmant la permanence de la démocratie et les valeurs de la vie. 

Nous devons être capables d'accéder à ce site sanctifié, créateur de quiétude, de méditation et de spiritualité. Nous devons atteindre, à soixante-dix pieds en dessous de « Ground Zero », le niveau des fondations, en procession, dans les marques profondes et ineffaçables des « Tower 1 » et « Tower 2 ». 

Pour autant, les fondations ne racontent pas seulement l'histoire de la tragédie mais révèlent également les dimensions de la vie. Les trains de la ligne de métro Path (son terminus est la station World Trade Center) continuent de traverser le sous-sol, comme avant, reliant le passé à l'avenir. Naturellement, nous avons besoin d'un Musée au coeur de « Ground Zero » ; un Musée pour ce qui s'est passé, pour la mémoire et pour l'espoir. Le Musée sera l'entrée dans « Ground Zero », toujours accessible, nous conduisant vers un espace de réflexion, de méditation : un espace pour le Mémorial lui-même. 
Ce Mémorial sera le résultat d'un concours international. 

Ceux qui ont perdu la vie sont devenus des héros. Pour rendre hommage à ces vies perdues, j'ai créé deux grandes places publiques, le Park of Heroes et le Wedge of Light. Tous les ans, le 11 septembre entre 8h46, heure à laquelle le premier avion a frappé la première tour et 10h28, heure à laquelle la seconde tour s'est effondrée, le soleil brillera sans aucune ombre, sur le site, pour rendre un hommage perpétuel à l'altruisme et au courage. 

Nous sommes tous allés voir le site ; plus de 4 millions d'entre nous ; nous avons marché tout autour, en regardant à travers les palissades, en essayant de comprendre cette immensité tragique. J'ai donc imaginé une passerelle surélevée, une promenade encerclant le site du Mémorial. Désormais, tout le monde peut non seulement voir « Ground Zero » mais aussi la résurgence de la vie. 

L'architecture enthousiasmante de la nouvelle Lower Manhattan Rail Station reliant les trains de la ligne Path, les correspondances des métros, les hôtels, un centre des arts et du spectacle, des tours de bureaux, des centres commerciaux souterrains, des magasins au niveau de la rue, des restaurants, des cafés, participe d'une affirmation intense et exaltante de New York. 

Le ciel sera consacré à nouveau au sommet d'une tour enivrante de 1776 pieds par les "Gardens of the World" ». Pourquoi des jardins ? Parce que les jardins représentent l'affirmation constante de la vie. Un gratte-ciel s'élève au-dessus de ses prédécesseurs, réaffirmant la prééminence de la liberté et de la beauté, restaurant le point culminant de la spiritualité de la ville, et créant une icône qui parle de notre vitalité face au danger et de notre optimisme au lendemain de la tragédie.La vie est victorieuse. - Daniel Libeskind

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