L'école idéale

À l’occasion de l'exposition "L'école idéale" et du livre qui lui est consacré, le Pavillon de l'Arsenal donne la parole au journaliste et critique littéraire Léonard Desbrières pour mettre ce thème en perspective, entre pop culture, littérature, art et architecture.

23/09/2025
" C’est ce qu’on appelle le paradoxe français. Au pays des Lumières, héritier d’une tradition philosophique et littéraire, où l’éducation est au centre des réflexions depuis Montaigne et Rabelais en passant par Rousseau et Condorcet jusqu’à Bourdieu et l’historienne Mona Ozouf, on est obnubilé par l’École en tant qu’institution, en tant que lieu de formation de la jeunesse, de transmission des valeurs, de reproduction des élites. Une obsession idéologique sur laquelle débatent encore aujourd’hui, pédagogues et politiques, bien conscients de l’urgence à refonder l’École. Au point d’avoir glissé sous le tapis la première acception du terme, puisque c’est d’abord à un lieu que l’école réfère. Un bâtiment dont on ne dira jamais assez l’importance puisqu’il est le temple de l’enfance et donc la capitale du souvenir. Convoquer l’école, c’est faire surgir dans l’esprit de chacun d’entre nous des images. De nos camarades, nos professeurs mais aussi de nos salles de classes, les rangées dans les couloirs étroits, le préau où l’on s’abritait de la pluie, cette cour de récréation comme une bouffée d’air frais même si c’est le béton qui dominait.

Finalement, l’école, c’est la première expérience de l’espace en société. On partage un lieu, on se l’approprie, on fait l’expérience des matériaux, on s’en sert comme d’un outil pour apprendre à communiquer et être au monde. Penser les lieux qui accueillent nos enfants est donc tout aussi important que débattre sur la nature de leur enseignement. Voilà ce que vient nous rappeler avec force et imagination L’École idéale, un livre et une exposition imaginés par L’Atelier Senzu, Anna Labouze et Keimis Henni. Jusqu’au 12 octobre prochain, au sein des Magasins Généraux de Pantin et en co-production avec l'institution grand-parisienne, le Pavillon de l’Arsenal poursuit sa période hors-les-murs et propose de réinventer l’école primaire dont le modèle est resté figé depuis plus d’un siècle. En mêlant parcours historique, études de cas et installations immersives, l’exposition met en lumière les alternatives innovantes qui bousculent notre vision de l’école idéale. Et si l’architecture, l’art et le design pouvaient contribuer à redonner de l’élan à une institution qui vacille ?

Qui a eu cette idée folle d’un jour inventer l’école ?

Si en 1965, France Gall convoquait dans sa chanson « ce sacré Charlemagne », c’est aux premières heures de la République Française que remonte le fil rouge historique de l’exposition. Parce qu’avec elle vient l’exigence de citoyens instruits. Parce qu’avec elle se pose pour la première fois la question du bâti scolaire, grande obsession qui va traverser le XIXème et le XXème siècle. La loi Guizot du 28 juin 1833, qui impose à chaque commune de plus de 500 habitants la création d’une école, sonne le départ d’une course à la construction effrénée pour accueillir toujours plus d’élèves français. Comme le pendant des lois qu’il a conçu entre 1881 et 1882,qui rendent l'école gratuite, laïque et l'instruction primaire obligatoire, Jules Ferry ordonne lui la construction massive d’écoles, avec comme horizon deux contraintes : scolariser un maximum d’enfants à un minimum de frais et séparer les élèves en fonction de leur niveau d’apprentissage. L’école française était née, fidèle à une logique d’universalité, d’ordre et d’efficacité, avec son lot de normes architecturales : des bâtiments et des salles de classe rectangulaires, réparties en niveaux et connectées par un couloir latéral, un préau, une cour asphaltée, des matériaux standardisés.

Daniel Pennac, Chagrin d’école, 2009, D.R Daniel Pennac, Chagrin d’école, 2009, D.R
Voilà donc le lieu austère qui depuis 150 ans forge l’esprit et l’imaginaire de nos enfants. Si la littérature en a parfois fait un havre de paix où l’on fuit la violence familiale comme dans Vipère au poing d’Hervé Bazin, ou le lieu d’une rencontre décisive qui va changer notre vie comme dans Le Premier Homme d’Albert Camus, elle l’a surtout transformé en bagne et en prison où viennent se briser nos ambitions. Outre-Atlantique, J.D Salinger et L’Attrape-Cœurs, se font le chantre de cette désillusion dans une scène d’ouverture d’anthologie où Holden Caulfield raconte son exclusion de son lycée en se moquant des fausses promesses d’une architecture grandiloquente. En France, c’est Daniel Pennac, dans Chagrin d’école, qui raconte avec fureur le sentiment d’étouffement qui le gagnait en pénétrant l’enceinte : 

« Je ne serai jamais prof, araignée engluée dans ta propre toile, garde-chiourme vissée à ton bureau jusqu'à la fin de tes jours. Jamais ! Nous autres les élèves nous passons, vous restez ! Nous sommes libres et vous en avez pris pour perpète. Nous, les mauvais, nous n'allons nulle part mais au moins nous y allons ! L'estrade ne sera pas l'enclos minable de notre vie ! »

Un sentiment qui fait écho au titre du film de Laurent Cantet, la Palme d’Or Entre les murs qui pose d’emblée l’idée d’un enfermement de l’élève. Ou encore du film musical d’Alan Parker et de Pink Floyd, The Wall, porté par une séquence culte où les enfants en uniforme marchent à la chaîne dans une école transformée en complexe industriel, métaphore de l’aliénation scolaire. De quoi faire bouger les lignes ? Pas vraiment.

Le livre et l’exposition rappellent pourtant que l’émergence d’un contre-modèle ne date pas d’hier. Dès 1921, lors du premier congrès de l’Éducation nouvelle qui réunit des personnalités telles que John Dewey, Ovide Decroly, Jean Piaget ou Maria Montessori, surgit le besoin de repenser l’environnement scolaire pour mieux épouser la psychologie enfantine. Des pavillons de plein pied, des espaces verts, l’espoir d’une classe en plein air : cela fait un siècle que les semis d’une nouvelle école idéale ont été plantés.

Casser la boîte… repenser l’école

L’expression est de Philippe Meirieu, pédagogue et professeur honoraire à l’université Lumière Lyon-II que l’Atelier Senzu a rencontré pour réfléchir à L’École idéale. Le parcours imaginé par Le Pavillon de l’Arsenal et Les Magasins Généraux regorgent d’ailleurs d’entretiens, de manifestes comme celui de Sara de. Gouy, designer d’espace et plasticienne qui dévoile la cour de récréation de ses rêves et même d’extraits d’ouvrages de référence comme Space and Learning de Herman Hertzberger. Des contrepoints intellectuels et idéologiques qui se complètent parfaitement avec les installations artistiques qui jalonnent l’exposition comme les films de Thomas Tudoux, interrogeant l’espace scolaire à travers le prisme de l’évaluation, Le Salon géologique d’Yto Barrada et Stéphanie Marin, imaginant un paysage pédagogique, tactile et modulaire ou encore l’installation Ni potion, ni gâteau de Carlota Sandoval Lizarralde, invitant à repenser l’apparence, l’usage et la symbolique des portes dans l’espace scolaire.

Le Salon géologique smarin & Yto Barrada – 2016 Jeu de formes de différentes densités, blocs, briques, cubes, triangles réalisés à la main  (coco latex, crin, fibres polysiliconnées, ouate de laine, mousse, liège, bois, flocon latex, tissus) © smarin & Yto Barrada Le Salon géologique smarin & Yto Barrada – 2016 Jeu de formes de différentes densités, blocs, briques, cubes, triangles réalisés à la main (coco latex, crin, fibres polysiliconnées, ouate de laine, mousse, liège, bois, flocon latex, tissus) © smarin & Yto Barrada
C’est à un parcours initiatique, immersif, à hauteur d’enfant, que le visiteur est convié quand il franchit le seuil de l’École idéale. Une immersion, bourrée d’innovations architecturales, dans la journée type d’un élève, du moment où il claque la porte de sa maison jusqu’à la dernière sonnerie qui le libère de son labeur. Avec en premier lieu, le chemin de l’école qui est déjà un parcours d’apprentissage en soi. À une époque où l’autonomie de enfants est réduite à néant, Madeleine Masse, awrchitecte urbaniste, fondatrice de l’atelier Soil appelle à une reconnexion entre la ville et l’enfant. Comme un écho au film culte de la Nouvelle Vague signé
Jean-Luc Godard, Les Quatre Cents Coups.

Les abords de l’école, aussi, sont devenus un enjeu d’urbanisme, notamment à Paris. Au sortir de la pandémie, la Mairie a ainsi mené un programme de « rues aux enfants », une transformation des rues accueillant des écoles maternelles et primaires en espaces apaisés, piétonnisés et végétalisés. Une concession à la méthode Montessori qui ne résout pas l’un des débats majeurs de l’école d’aujourd’hui : sa forme. Comment arrêter de penser l’école comme un édifice figé, alors même qu’elle est appelée à se transformer pour mieux répondre aux enjeux éducatifs et sociaux contemporains ? C’est la question que pose l’exposition en retraçant les projets de renouvellement les plus originaux comme le Groupe Scolaire des Plants à Cergy Pontoise, imaginé par Jean Renaudie en 1972, un assemblage de modules hexagonaux ressemblant à une ruche d’abeilles.

Groupe scolaire des Plants, Cergy-Pontoise, France Jean Renaudie, architecte – 1972 © Archives du Val-d’Oise Groupe scolaire des Plants, Cergy-Pontoise, France Jean Renaudie, architecte – 1972 © Archives du Val-d’Oise
Avec ces bâtis scolaires audacieux et passionnants, on s’interroge sur la gestion de l’espace et sa modularité mais aussi sur la circulation des élèves. L’école maternelle Anne-Frank de Mons-en-Barœul, par exemple, construite dans les années 70 par l’architecte Henri Chomette et conçue de manière circulaire, bouleverse les repères des élèves. La salle de classe devient le terrain de toutes les expérimentations pour les architectes et designers. Pour non seulement désacraliser sa disposition martiale mais aussi pour détourner les objets qui depuis toujours y font autorité. Un combat qui fait écho à certaines œuvres artistiques emblématiques qui prennent un malin plaisir à malmener l’environnement scolaire, des élèves grimpant sur les tables en signe de rébellion dans Le Cercle des poètes disparus au sculpture éphémères et provocantes d’Erwin Wurm.

Erwin Wurm, One Minute Sculpture, 1997, from the series One Minute Sculptures  © Erwin Wurm, Bildrecht, Wien 2025 Erwin Wurm, One Minute Sculpture, 1997, from the series One Minute Sculptures © Erwin Wurm, Bildrecht, Wien 2025
Erwin Wurm, Idiot II, 2010  © Erwin Wurm, Bildrecht, Wien 2025 Erwin Wurm, Idiot II, 2010 © Erwin Wurm, Bildrecht, Wien 2025

Renforcer les liens entre l’élève et la nature

Plus largement, ces interrogations architecturales et ces projets innovants amènent à penser le rapport des enfants à la matière qui les entoure. Pour accentuer leur sensibilité au milieu et donc adapter leurs comportements à l’écologie, les écoles sont aujourd’hui dans l’obligation de réfléchir à de nouveaux modes de construction plus respectueux. Certaines d’entre elles s’adaptent à un bâti déjà préexistant comme à Rosny-sous-Bois où le groupe scolaire Les Boutours a été installé dans une ancienne halle des marchés avec la volonté d’en faire une véritable éco-école bioclimatique. D’autres sont même construites avec des méthodes révolutionnaires comme l’école Thomas-Pesquet de Villepreux, premier ouvrage francilien réalisé avec de la terre crue excavée des déblais des chantiers du Grand Paris.

École de plein air de Suresnes, France Eugène Beaudouin et Marcel Lods, ­architectes – 1935 Maîtrise d’ouvrage : Ville de Suresnes (sous l’impulsion du maire Henri Sellier)  © MUS - Musée d’histoire Urbaine et Sociale de Suresnes École de plein air de Suresnes, France Eugène Beaudouin et Marcel Lods, ­architectes – 1935 Maîtrise d’ouvrage : Ville de Suresnes (sous l’impulsion du maire Henri Sellier) © MUS - Musée d’histoire Urbaine et Sociale de Suresnes
Mais si la sensibilisation écologique commence avec les fondations mêmes de l’école, elle doit aller de pair avec un cadre d’enseignement. C’est la question du dehors et du dedans. L’éveil de nos enfants ne peut plus se passer d’un lien renforcé à la nature. Désencastrer l’école, la sortir de son environnement clos et bétonné, c’est l’idéal prôné par les partisans de l’école de plein air depuis presque un siècle. En témoigne, ce fascinant ensemble architectural des années 30, l’école de plein air de Suresnes, considéré aujourd’hui comme un monument d’avant-garde. Et comme le point de départ de l’Outdoor learning, un courant pédagogique qui réunit chaque jour de nouveau adeptes et qui prône une déconstruction de l’école hors-les-murs, au beau milieu de la nature. Et si paradoxalement école idéale rimait avec école buissonnière ?



Léonard Desbrières
Journaliste et critique pour Le Parisien, LiRE, Konbini et Technikart, passé par La Grande Librairie, Léonard Desbrières se passionne pour les littératures de l'Imaginaire et s'intéresse à l'émergence des nouvelles voix romanesques qui incarneront la littérature de demain.
Découvrez toutes ses critiques et analyses via sa newsletter Incipit


Découvrez L'école idéale et toutes les éditions du Pavillon de l’Arsenal en cliquant ici 
partager