Conserver, adapter et transmettre le carbone

Toute action effectuée émet du carbone. Dans les domaines de l’architecture et de l’urbanisme, à chaque moment de la production d’un matériau jusqu’à sa pose sur un chantier – les chutes, le gaspillage, la mise en déchetterie, le transport, parfois la réaction chimique (pour le ciment, par exemple) –, il y a émission de gaz à effet de serre. Les matériaux qui nous entourent « émettent » donc du carbone : c’est ce que l’on appelle parfois le carbone gris ou le carbone de la matière.

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Dépose de l'existant et diagnostic réemploi du bâtiment Pinard en vue de sa réhabilitation, 72-86 avenue Denfert-Rochereau, 75014 Paris, Chartier Dalix, architectes, livraison prévisionnelle mars 2025. © Maxime Verret

Guillaume Meunier, Architecte DPLG ingénieur, Directeur délégué d'Elioth by Egis

3 décembre 2022
15 min.

Le carbone, un actif comme un autre ?

     On l’entend à longueur de temps : nous sommes en crise climatique (« l’été 2022 et ses extrêmes météorologiques pourraient être la norme après 2050 », selon Météo France), une crise que nous avons créée et qui est déjà en train de bouleverser nos modes de vie. Pourtant, le mot « crise » ne décrit pas vraiment ce qui se déroule, puisque le changement climatique va s’étendre sur les 100 prochaines années[1] et influencera plusieurs générations d’êtres humains. Et si certaines évolutions sont irréversibles, il est important aussi de comprendre que toute action sur le climat aujourd’hui aura un effet à très court terme : il n’y a pas d’inertie climatique à proprement parler, mais une inertie politique et une inertie de nos infrastructures. Dit autrement, « chaque kilo de CO2 compte », comme le rappelle dans toutes ses conférences la paléoclimatologue Valérie Masson-Delmotte.
     Le bouleversement climatique, conséquence stricte de nos modes de production, entraîne également une crise de la ressource. Par exemple, d’un côté, on peut se poser la question de l’usage d’eau ou de sable pour préparer le béton, alors que l’on manque d’eau en été et que le prélèvement du sable abîme les écosystèmes. De l’autre, le ciment du béton est un produit ayant un poids carbone actuellement considérable[2].
     La production d’acier, nécessitant l’extraction de matières lointaines, résulte d’un processus très énergivore, à base d’énergies fossiles, qui participe directement au changement climatique. Le bois ou la pierre sont des matériaux bas carbones, mais l’exploitation de ces ressources, à partir du moment où elles deviendront majoritaires, devra être analysée et quantifiée pour éviter des effets indésirables non voulus.
      Appréhender toutes ces problématiques nécessite de se donner les moyens de comprendre et d’essayer de compter afin d’aboutir à des choix éclairés. Car si, intuitivement, le choix de conserver semble évident, il faut pouvoir disposer de chiffres tangibles et, comme nous le verrons, éviter certains écueils. Nous pouvons dès lors commencer à parler de « poids carbone », un indicateur nouveau et très pertinent.

Le poids carbone ?

      Le « poids carbone » est un abus de langage, mais il a le mérite d’être simple et compréhensible. Ce dont nous parlons ici est en réalité la somme de tous les gaz à effet de serre pondérés en fonction de la molécule de dioxyde de carbone, ce que l’on nomme le « CO2 équivalent » (désormais abrégé en eqCO2).
      Toute action effectuée émet du carbone. Dans les domaines de l’architecture et de l’urbanisme, à chaque moment de la production d’un matériau jusqu’à sa pose sur un chantier – les chutes, le gaspillage, la mise en déchetterie, le transport, parfois la réaction chimique (pour le ciment, par exemple) –, il y a émission de gaz à effet de serre. Les matériaux qui nous entourent « émettent » donc du carbone : c’est ce que l’on appelle parfois le carbone gris ou le carbone de la matière. Puis, une fois le bâtiment construit, chaque année et pendant longtemps, on l’utilise, on le chauffe, parfois on le refroidit, on l’éclaire, on remplace certains matériaux, on le répare… Bref, au cours de sa durée de vie, le bâtiment consomme aussi de la matière et de l’énergie. Et même si l’électricité en France est plutôt faiblement carbonée, même si l’on recourt à des énergies renouvelables, chaque kilowattheure d’énergie consommée, quelle qu’elle soit, émet du carbone. Finalement, le bâtiment est démoli, ses composants sont transportés en déchetterie, triés et stockés. Tel est le cycle de vie d’un bâtiment, en termes techniques, « du berceau à la tombe » – une expression très parlante.
      En synthèse, dans le bâtiment, le carbone se cache partout. Mais les deux postes principaux de consommation, ce sont le carbone de la matière et le carbone de l’énergie. Et c’est l’ensemble de ce carbone « équivalent » émis qui déséquilibre le système climatique de la planète[3].
      Notons que si les tous matériaux émettent du carbone, les matériaux biosourcés – au premier rang desquels figure le bois – sont des stocks de carbone. En effet, les matériaux biosourcés croissent et, ce faisant, absorbent du CO2 de l’atmosphère. Si l’on considère que le prélèvement de ces matériaux n’affecte en rien la quantité totale de CO2 absorbé[4] et qu’ils sont stockés pendant longtemps, on peut raisonnablement penser que chaque kilo de matériau biosourcé constitue presque autant de carbone stocké[5].

Quelques chiffres essentiels

      Le carbone, c’est comme les euros, son approche est assez similaire à celle d’un budget. De même que pour l’argent, il faut avoir en tête quelques chiffres essentiels[6].
      Pour faire simple, à chaque mètre carré que l’on construit, on émet 1,5 tonne eqCO2 pendant 50 ans[7]. Et ces émissions d’1,5 t eqCO2 se répartissent en 50 % liés à la matière et 50 % à l’énergie. En construisant « bas carbone », on peut presque diviser par deux le bilan des émissions sur 50 ans, soit 750 kg eqCO2/m².
      La superstructure représente environ 20 % du bilan carbone de la matière. Les fondations – incluant la VRD (voirie et réseaux divers) – et les lots intérieurs, c’est presque autant chacun. La façade compte pour un peu moins, environ 10 %, et les lots techniques, 30 %. Ne pas reconstruire la structure primaire constitue le gain essentiel d’une réhabilitation : on économise ainsi 250 kg eqCO2/m² pour une réhabilitation lourde ou, dans le cas d’une réhabilitation légère, une partie de la façade ou des lots techniques. De 800 kg eqCO2/m² en moyenne pour un logement collectif neuf, on peut descendre sous les 400 kg eqCO2/m² dans le cas d’une réhabilitation simple ou bas carbone, ou atteindre au maximum des émissions de l’ordre de 600 kg eqCO2/m².
      Sans faire de généralisation trop hâtive, nous pouvons aisément dire que la réhabilitation d’un bâtiment haussmannien, qui concernera surtout les menuiseries et les lots intérieurs, aura un bien meilleur bilan carbone que celle d’un bâtiment des années 1970 ou 1980 nécessitant de changer entièrement la façade et impliquant des reprises structurelles plus importantes. Nous pouvons aussi postuler qu’il est presque toujours possible de réhabiliter bas carbone, c’est-à-dire de réduire l’impact carbone par rapport à une réhabilitation standard, sauf en cas de contrainte très spécifique (amiante dans les façades, par exemple).
      Concernant l’énergie, il est facile d’économiser. Les émissions carbone d’un bâtiment récent peuvent atteindre 750 kg eqCO2/m², liées aux consommations énergétiques, sur 50 ans (dans l’ancien, c’est largement le triple). S’il s’agit d’un bâtiment neuf ou d’une réhabilitation de qualité, ces émissions peuvent descendre à 200 kg eqCO2/m².
      En additionnant énergie et matière, l’écart des quantités d’émissions de carbone entre une construction neuve et une réhabilitation est d’environ 2 à 3.
      Et à l’avenir ? En imaginant le futur de la construction et selon une méthodologie de calcul modifiée (la RE2020), il serait possible d’aboutir à des émissions inférieures à 400 kg eqCO2/m² et, avec un peu d’optimisme, inférieures à 300 kg eqCO2/m². Cela nous conduit à dire que construire « neutre » en carbone est, au mieux, un principe d’externalisation, au pire une erreur de langage.

Deux exemples

      Prenons un premier exemple iconique : la tour Montparnasse, construite dans les années 1970. Alors qu’elle compte désormais 50 ans au compteur, sa réhabilitation est devenue vraiment nécessaire. L’effort environnemental principal et logique concerne les consommations énergétiques, divisées par dix[8]. Ramené à la quantité d’émissions carbone, cela correspond à une division par six : la réhabilitation permet de passer de 900 à 150 kg eqCO2/m² – un très bon chiffre[9]. Mais, pour atteindre cette performance, l’effort fourni sur l’énergie se paye sur les matériaux. D’une manière un peu générale et si l’on n’y prête pas attention, entre un bilan de matière que l’on alourdit pour améliorer la performance énergétique et un bilan énergétique qui diminue de fait, on peut tomber à l’équilibre. L’inverse est aussi valable, comme l’a très bien montré l’exposition « L’empreinte d’un habitat. Construire léger et décarboné », conçue par Philippe Rizzotti au Pavillon de l’Arsenal en 2021. Moins de matière et donc un bilan carbone plus faible, mais davantage de consommation énergétique et donc plus de carbone. Ah, la subtilité de l’exercice ! La subtilité mais aussi la beauté, car réfléchir au poids carbone, c’est réapprendre à faire des choix sur la globalité du bâtiment, à ce que l’on additionne à un instant 0 : les matériaux employés et ce qui se passe pendant la durée de vie, les consommations.
      Concernant la réhabilitation de la tour Montparnasse, la dépense en matière est d’1 t eqCO2/m². C’est beaucoup, mais nettement plus faible que pour un bâtiment neuf comparable – les immeubles de grande hauteur ne sont pas vraiment des objets bas carbone. Sans être parfaits, ils ont d’autres avantages, permettant notamment à nos villes d’avoir une certaine densité. Dans cette tonne, les façades représentent à elles seules presque 300 kg eqCO2/m² – sans doute un chiffre élevé, mais à comparer au gain énergétique. Avec les lots techniques et architecturaux, entièrement neufs, et les reprises structurelles que nécessite un tel ouvrage, il est logique de se rapprocher du neuf. Prenons un second exemple : la rénovation d’un bâtiment de bureau haussmannien tout simple, dont le projet n’a pas été conçu en pensant au carbone. Son bilan matière est de 800 kg eqCO2/m² et celui de l’énergie de 400 kg eqCO2/m². Remarquons déjà que ce bilan est inférieur, malgré tout, au chiffre d’1,5 t eqCO2/m² pour une construction neuve « standard » évoqué en début de texte. Ces deux exemples soulèvent des questionnements quant aux choix à faire entre construire ou réhabiliter, et entre réhabilitation standard ou bas carbone.

Ça veut dire quoi construire en 2022 ?

     Si l’on s’en tient à la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC)[10], au zéro artificialisation net, au poids carbone du neuf, à la RE2020… construire en 2022, c’est ne pas construire. C’est une réponse très radicale, mais l’été 2022 a été tout aussi radical. Ceci dit, étant doués d’une certaine capacité à l’inertie, nous allons continuer à construire. Mais tel est le postulat pour atteindre nos engagements climatiques, selon les termes de la SNBC : « Les hypothèses […] amènent à considérer que le volume de construction neuve diminue continuellement jusqu’en 2050. » Forcément, qui dit ne pas construire dit réhabilitation massive et, surtout, efficace. Or, l’efficacité de la réhabilitation se regarde d’un point de vue « carbone » et, comme le précise la SNBC, il faut « éviter les “impasses” des rénovations partielles qui ne pourraient évoluer que vers des rénovations plus globales ».
     Construire en 2022, c’est donc réhabiliter au maximum en limitant la construction et en réhabilitant de façon suffisamment intelligente pour éviter ce qu’un investisseur nommerait un stranded asset, un actif n’ayant aucune pérennité. De façon corollaire, se pose la question de la temporalité des émissions carbone. Puisque celles-ci doivent être réduites dès aujourd’hui, il faudrait toujours préférer émettre du carbone dans 20, 30 ou 50 ans plutôt que cette année. Suivre cette hypothèse tend à privilégier la solution d’une réduction de la matière, qui a un impact au moment de la construction, au détriment de celle de la consommation d’énergie, qui concernera le bâtiment tout au long de sa durée de vie.
      L’une des méthodes possibles, en réhabilitation, consiste à évaluer le temps de retour sur investissement carbone. Comme dans le domaine financier, calculer le temps de retour sur investissement permet de savoir à partir de quel moment l’investissement initial est rentabilisé par rapport à un autre. Du point de vue du carbone, il s’agit de déterminer à partir de quand l’investissement en matière permettra une économie d’énergie. Si j’emploie trop de matériaux et que le gain énergétique de mon projet n’est réel qu’au-delà de 50 ans, la question de l’intérêt des travaux se pose. Cette logique fait porter tout le poids de l’attention sur la réduction de l’impact de la matière.

Existant : ancien garage Peugeot, 162 rue Lamarck, 75018 Paris, n.c. - André Alran, architecte (surélévation), 1925,1927 - 1966 © DATA Architectes Existant : ancien garage Peugeot, 162 rue Lamarck, 75018 Paris, n.c. - André Alran, architecte (surélévation), 1925,1927 - 1966 © DATA Architectes
Projet : réhabilitation en bureaux, logements, salle de sport et espace de logistique urbaine, DATA Architectes, livraison prévisionnelle décembre 2025 © ArtefactoryLab Projet : réhabilitation en bureaux, logements, salle de sport et espace de logistique urbaine, DATA Architectes, livraison prévisionnelle décembre 2025 © ArtefactoryLab

Façade et structure bas carbone ?

      En réhabilitation, la façade et la structure sont les postes importants, non seulement en termes de poids carbone, mais aussi et surtout parce qu’il s’agit avant tout de faire un projet. Comme dit précédemment, le travail environnemental revient à s’interroger sur l’impact de chaque matériau utilisé.
      La première règle, c’est que la façade doit désormais d’abord être optimisée au regard de ses émissions de CO2, prioritairement aux critères d’énergie. C’est un changement d’approche drastique pour les architectes et ingénieurs, auparavant soumis à des réglementations thermiques[11] dont l’unique objectif était de réduire notre consommation énergétique. La nouvelle réglementation, la RE2020, sortie en 2022[12], va presque entièrement dans le sens du carbone et impose un seuil carbone à partir duquel il devient impossible de construire. Cette réglementation ne s’applique pas à la réhabilitation, mais sa logique et le fait qu’une réhabilitation lourde appelle souvent une façade entièrement neuve nous permettent d’établir des analogies.
      Nous savons aujourd’hui que certaines typologies de façades[13] améliorent l’impact carbone, et ce choix devrait donc dicter celui de l’apparence et de la forme. Nous savons également que les parties vitrées sont le point faible de nos impacts, et ce tant en raison des déperditions d’énergie que pour leurs émissions carbone[14]. Ainsi, une façade entièrement vitrée (à double ou triple vitrage), qui permet un gain énergétique majeur, peut avoir un bilan supérieur à 300 kg eqCO2/m², alors qu’une façade bas carbone peut descendre sous les 100 kg eqCO2/m². Ce second type de façade est le seul qui permette, du point de vue des matériaux, des émissions inférieures à 800 kg eqCO2/m² sur la globalité du bâtiment.
     Pour un œil avisé, il est facile d’apprécier le poids carbone d’un bâtiment simplement en regardant sa façade. D’autant que la forme d’un bâtiment, sa complexité ou sa compacité sont en corrélation stricte avec son impact. Certains architectes suivent le principe « form follows function » (« la forme découle de la fonction ») ; nous devons désormais adopter le précepte « form follows carbon ». À ce titre assez efficace, le bâtiment haussmannien montre une partie du chemin. Sans forcer le trait, une réhabilitation orientée carbone permet, dans le cas d’un immeuble haussmannien, d’économiser 200 kg eqCO2/m² sur la matière et 150 kg eqCO2/m² sur l’énergie, pour atteindre sans trop de difficultés un bilan de 850 kg eqCO2/m², soit presque deux fois inférieur à celui d’une construction neuve.
     Parmi les optimisations, dans notre exemple, figurent en outre l’absence de création de surface au profit d’une densification des espaces, l’usage de matériaux biosourcés et la sobriété dans les aménagements. Cela induit deux préoccupations. D’une part, il faut accompagner les usagers pour leur faire comprendre les enjeux d’un projet dont certaines surfaces sont réduites ou partagées, et les moyens de diminuer leur propre bilan carbone. D’autre part, la programmation elle-même doit être bas carbone. Construire un parking automobile plutôt qu’un parking vélo est un choix programmatique qui peut grandement contraindre un projet.
     Nous l’avons vu : bien que les nouvelles façades de la tour Montparnasse soient très carbonées, elles permettent un gain majeur sur le bilan carbone en matière énergétique. La particularité de cet ouvrage, ce sont aussi les contraintes techniques et mécaniques, ainsi que le système de ventilation naturelle, qui alourdissent forcément son bilan carbone global.
     Évoquons maintenant la structure. Les reprises structurelles devraient toujours être réalisées à l’aide de matériaux biosourcés, beaucoup plus légers et garantissant une grande souplesse de chantier. Si ces matériaux peuvent nécessiter une ingénierie complexe, leur usage est néanmoins aujourd’hui de plus en plus répandu. Mais leur avantage premier, ce sont des émissions décalées dans le temps, c’est-à-dire qui n’interviennent que lorsqu’ils sont en fin de vie. Et lorsque, à ce décalage temporel s’ajoute une durée de vie très longue du bâtiment, nous pouvons parler de stockage carbone. Bien que l’emploi du bois paraisse un choix évident, on peut aussi utiliser d’autres types de structure, comme la terre crue ou la pierre, et ne recourir au béton, si possible « bas carbone »[15], que si aucun autre matériau ne peut tenir sa place. De même que pour la façade, nous devons réviser nos modes de pensée : le béton, et tous les procédés que nous utilisons sans y réfléchir depuis 30 ans, ne doivent pas être la première solution proposée, même si elle apparaît d’emblée. Notons avec plaisir que la RE2020 met en avant les matériaux biosourcés grâce à l’adoption de la nouvelle méthode de calcul dite de « l’ACV dynamique »[16]. En se fondant sur ce type de calcul, une structure non optimisée peut désormais atteindre un bilan moindre, de l’ordre de 150 kg eqCO2/m², et une structure optimisée et très bas carbone se rapprocher de 0 kg eqCO2/m².
     Pour autant, il ne s’agit pas de se réjouir alors que n’ont été traités que les gros budgets : cette démarche doit également être appliquée à tous les autres postes. L’intérieur d’une réhabilitation, les lots architecturaux doivent participer à l’effort de décarbonation. C’est là que le réemploi entre en jeu. Alors qu’il est devenu un sujet moteur pour de nombreuses start-ups et associations, designers, boutiques et même des assurances et des plateformes de vente[17], il n’y a aucune raison de ne pas massifier les propositions en ce domaine. Dans un immeuble de bureaux, par exemple, il est très efficace de mettre en œuvre des faux planchers ou des équipements de sanitaires de réemploi. Il y a aussi un gisement à imaginer en ce qui concerne les chemins de câbles et les gaines de fluides. Dans les logements, le réemploi des sanitaires, des radiateurs est parfaitement envisageable. Au-delà de ces exemples, tout est à réinventer, du réemploi direct sur site, c’est-à-dire un élément conservé et réutilisé dans le projet de réhabilitation, jusqu’à l’utilisation de matériaux issus d’autres chantiers ou de produits qui servent à fabriquer un nouveau matériau. Nous pouvons mentionner les célèbres verres de la chenille du Centre Pompidou réutilisés dans des aménagements de bureau, ou l’isolant Métisse, fabriqué à partir de coton recyclé issu de vêtements. D’un point de vue carbone on peut, sans trop se tromper, considérer que le poids des matériaux de réemploi est négligeable. Le réemploi a en outre l’avantage de réduire la pression que nous exerçons sur les ressources et la production de déchets – ce qui est tout aussi fondamental. Au-delà du réemploi, la frugalité doit guider chacune des actions dans le secteur du bâtiment : doit-on encore, en 2022, équiper les bureaux à la fois d’un faux plancher et d’un faux plafond ?

Le mot de la fin ?

     À ceux qui estiment que la conception bas carbone, c’est la ruine de l’architecture, il est facile de répondre que c’est en réalité une renaissance de l’architecture. Une renaissance puisqu’elle redonne de la noblesse à l’acte de construire en prenant soin de la planète, parce qu’elle regarde la matière et nous oblige à choisir en connaissance de cause. Cela devient même un enjeu de société alors que le monde vers lequel nous nous dirigeons pourrait être basé sur un budget carbone à dépenser. Décider de l’attribution des kilos de carbone relèverait donc d’une politique sociétale.
      Pouvons-nous dépenser une montagne de carbone pour construire un hôpital dans lequel le recours au béton est encore indispensable ? Bien sûr ! Pouvons-nous dépenser autant pour bâtir des logements alors que des solutions bas carbone et la réhabilitation existent ? Je vote non. Et vous ?



Guillaume Meunier
Guillaume Meunier, Elioth by Egis, Directeur délégué.
Architecte DPLG et ingénieur, Guillaume est spécialiste en construction, stratégie et innovation bas carbone, bioclimatisme, modélisations et écologies urbaines. Il participe activement à réduire l’impact du monde du bâtiment auprès des architectes et des grandes maitrises d’ouvrages. Entre la réhabilitation de la tour Montparnasse et le nouveau siège de l’ONF, il cherche à faire infléchir les modes de construction pour tendre vers neutralité carbone le plus rapidement possible.


1. Essentiellement pour certains effets comme la hausse du niveau des mers et océans.
2. Pour être précis, il s’agit d’un composant du ciment, le clinker. À titre d’exemple, à caractéristiques équivalentes, une façade en béton est deux fois plus émissive qu’une façade en pierre ou en bois.
3. Selon les calculs, le bâtiment représente de 20 % à 30 % des émissions de carbone, le reste étant généré par le transport, l’alimentation et nos modes de vie.
4. C’est entre autres le principe d’une forêt durablement gérée.
5. 1 m3 de bois, c’est 0,9 tCO2 stocké sous forme de carbone (C).
6. Les chiffres donnés ici relèvent de la méthode E+C-. L’arrivée de la RE2020 devrait modifier quelque peu ces résultats, mais nous ne disposons pas encore de suffisamment de retours d’expérience.
7. Tous les calculs mentionnés dans cette étude sont faits sur une période de 50 ans : cette simple norme de calcul correspond à la durée de vie typique d’usage d’un bâtiment et non à sa durée de vie réelle.
8. Pour la partie bureaux uniquement, sur le périmètre réglementation thermique.
9. Le bilan carbone en matière d’énergie pour l’existant n’est pas si mauvais, étant donné que la tour n’est pas chauffée au gaz mais grâce au réseau de chaleur urbain de Paris (CPCU), bien plus vertueux.
10. La Stratégie nationale bas-carbone est la feuille de route élaborée par la France pour lutter contre le changement climatique. Elle donne des orientations pour mettre en œuvre, dans tous les secteurs d’activité, la transition vers une économie bas carbone, circulaire et durable.
11. La RT2005 et, plus récemment, la RT2012.
12. Le monde du bâtiment a la particularité (étrange) de toujours nommer ses réglementations d’une date antérieure à leur date d’application. La RE2020 n’est ainsi appliquée que depuis 2022 pour certains usages et concernera d’autres types d’usages au mieux en 2023.
13. Façades à châssis plutôt qu’en mur-rideau, à ossature bois ou pierre plutôt qu’en béton.
14. Le poids carbone de la partie vitrée d’une façade est presque toujours supérieur au poids carbone de la partie opaque.
15. Il s’agit d’un abus de langage : il faut lire un béton moins carboné que le traditionnel CEM I.
16. Mis en œuvre dans le cadre de la RE2020, l’« ACV dynamique » prend en considération le temps d’émission : ainsi, un matériau biosourcé qui n’émet qu’en fin de vie peut avoir un bilan carbone négatif.
17. Par exemple, « La galerie du réemploi » créée par Cycle Up.