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Back to dirt

Étude et prototypage pour faire pousser dans le sol une chaise en mycélium, par Aléa - Miriam Josi et Stella Lee Prowse

Septembre 2023
En utilisant le sol comme moule accueillant des cultures de mycélium, structure racinaire des champignons, les designeuses Miriam Josi et Stella Lee Prowse, fondatrices du studio Aléa, créent un processus de production « bio-inclusif » - qui conçoit la nature comme un partenaire - , et intégré dans son environnement. À travers le projet « Back to dirt », ce procédé permet de contourner des contraintes ou des écueils de fabrication : conditions de mycofabrication traditionnelles comme la stérilisation, mobilisation d’énergie supplémentaire, utilisation de moules plastiques… Au-delà de l’objet fini, Aléa se concentre sur la capacité du mycélium à décontaminer les sols et à contribuer à la biodiversité. À l’aide de cette matière vivante, les deux designeuses conçoivent des objets d’exposition qui sont eux-mêmes évolutifs et permettent aux visiteurs de voir la transformation de la matière tout au long du temps d’exposition.

© Nicolas Krief © Nicolas Krief
© Nicolas Krief © Nicolas Krief
© Nicolas Krief © Nicolas Krief
© Nicolas Krief © Nicolas Krief
© Nicolas Krief © Nicolas Krief

Septembre 2023 : Exposition Matières Vivantes - Wool Wall, Back to dirt, Carreaux de papier

L’objet de design a le pouvoir d’utiliser le vivant dans sa composition, sa forme, son caractère ornemental et son processus de production. Sa conception doit répondre aux défis qui s’imposent à notre environnement bâti, en trouvant des alternatives à l’épuisement des ressources et des moyens de diminuer son empreinte carbone. Travaillant à réduire l’impact énergétique des processus de fabrication (en excluant les procédés de cuisson par exemple) et libérant le potentiel technique et esthétique de matériaux issus d’une matière organique disponible, trois projets de design, lauréats de la plateforme d’expérimentation FAIRE, innovent pour faire dialoguer tissus vivants et objets inanimés. L’exposition Matières Vivantes en présente les tests, échantillons, et prototypes.

Mis au point respectivement par Marlon Bagnou-Beido et Soufyane El Koraichi, Aléa, ainsi que Pavillon Noir Architectures et César Bazaar, ces trois recherches-expérimentations conçoivent avec ce qui est disponible, ressource organique ou recyclée, en interrogeant les processus de fabrication et leur résultat formel.


Back to dirt 

La mycologie – l’étude des champignons – est une science jeune, reconnue seulement récemment comme branche à part entière de la biologie. Progressivement, nous découvrons à quel point les champignons jouent un rôle fondamental dans les écosystèmes. Le mycélium est la partie cachée des champignons, celle qui pousse sous terre : une masse entrelacée de filaments ayant la capacité de décomposer la matière organique, de régénérer les sols et de contribuer à la biodiversité des écosystèmes.

Depuis quelques années, le mycélium est utilisé en design pour faire pousser des matériaux biosourcés et circulaires dans le cadre d’une démarche appelée la mycofabrication. Si celle-ci constitue une alternative prometteuse aux méthodes de fabrication industrielles linéaires traditionnelles, Aléa a constaté un décalage entre la manière dont le mycélium est utilisé en design et le rôle qu’il joue dans les écosystèmes naturels. Mis au service du design, le mycélium est en effet généralement cultivé en isolation dans un milieu stérile, tandis que dans son environnement naturel, il se développe en interface avec la diversité présente dans le sol et y tisse des réseaux de relations avec le reste du vivant. Miriam Josi et Stella Lee Prowse ont perçu dans cette discordance une opportunité pour développer davantage la mycofabrication en intégrant le plein potentiel du mycélium dans le processus de fabrication. Plutôt que d’isoler l’organisme cultivé, Back to Dirt replace le champignon dans son environnement afin d’imaginer de nouveaux modes de fabrication qui ne bénéficient pas qu’aux êtres humains.

Aléa a commencé ses recherches en la matière après avoir découvert qu’il était possible d’utiliser la terre comme moule pour faire pousser des objets avec du mycélium. En réintroduisant le mycélium dans le sol, l’organisme prospère dans son environnement premier, permettant de s’affranchir de plusieurs composantes habituelles de la mycofabrication, notamment la stérilisation, les apports extérieurs d’énergie et l’utilisation de moules en plastique. Par ailleurs, la capacité du mycélium à régénérer les sols et y réintroduire de la biodiversité rend cette approche de la mycofabrication plus vertueuse.

Le Prix de la résidence Boisbuchet a offert à Aléa l’opportunité d’appliquer son approche renouvelée à échelle réelle, permettant aux deux designeuses de faire pousser la première chaise mycofabriquée sous terre en octobre 2021.

Lauréates de FAIRE 2021, Josi et Lee Prowse ont pu continuer à affiner leurs méthodes et les appliquer dans un contexte parisien. Utilisant différents échantillons de terre issus du territoire et de gisements de déchets locaux comme substrats, elles ont exploré la possibilité d’un juste milieu entre la production en extérieur et en laboratoire.

Back to Dirt s’interroge sur les outils, les processus et les environnements que nous utilisons dans notre collaboration avec les systèmes vivants. Le projet pose la question du partage du pouvoir de contrôle entre le designer et le matériau, entre l’humain et le non-humain, afin d’imaginer des modes de fabrication régénératifs et ancrés dans un territoire.


Aléa - Miriam Josi et Stella Lee Prowse

Aléa est un studio de design expérimental et de recherche sur les matériaux basé à Paris. Miriam Josi (Suisse) et Stella Lee Prowse (Australie) ont cofondé Aléa en 2021 après avoir toutes deux obtenu un master en Design bio inspiré à l’ENSCi – Les Ateliers Paris. Leur travail met à profit des processus de croissance et de décomposition pour remettre en question l’acceptation courante de ce qui est déchet ou de ce qui est ressource, des temporalités matérielles ou encore des notions de valeur, d’éthique et d’esthétique. La pratique d’Aléa se situe au croisement du design, de la biologie et de l’agriculture, brouillant les frontières entre les disciplines.

© Nicolas Krief

Projet réalisé dans le cadre du programme FAIRE, accélérateur de projets architecturaux et urbains innovants