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Histoire naturelle de l’architecture

L’histoire de l’architecture et de la ville, telle que nous la connaissons depuis la seconde moitié du XXe siècle, a le plus souvent été relue sous le prisme culturel, social ou politique, oubliant les raisons premières climatiques, sanitaires ou énergétiques qui l’ont fondée.


Dans cette exposition, Philippe Rahm, docteur en architecture, révèle une histoire inédite qui met en perspective les découvertes scientifiques, les innovations techniques, les phénomènes météorologiques et épidémiques avec la forme des villes, des bâtiments et l’aménagement du territoire. Cette lecture environnementale s’appuie sur les travaux de chimistes, écrivains, historiens, ingénieurs, paléontologues, philosophes, physiciens, statisticiens pour expliquer comment l’être humain a adapté, transformé son environnement face aux évènements qu’il a traversés ou grâce aux progrès techniques acquis dans d’autres champs. Chacune des treize séquences se concentre sur une période historique appréhendée au regard des enjeux contemporains pour permettre à toutes et tous de comprendre comment affronter les défis urbains majeurs de notre siècle, et mieux construire, dès à présent, face aux nouveaux risques épidémiques et à l’urgence climatique.

40 000 AV. J.C. - Premiers campements paléolithique supérieur

Pourquoi notre nature homéotherme a donné naissance à l'architecture

[CONSTRUIRE POUR RECRÉER UN CLIMAT] Évolution des premières constructions, des huttes dites « primitives » aux ordres de l’architecture classique. Planche de William Chambers, in A Treatise on Civil Architecture, Londres, 1759, pl. 1. Royal Collection Trust. © Her Majesty Queen Elizabeth II 2020 [CONSTRUIRE POUR RECRÉER UN CLIMAT] Évolution des premières constructions, des huttes dites « primitives » aux ordres de l’architecture classique. Planche de William Chambers, in A Treatise on Civil Architecture, Londres, 1759, pl. 1. Royal Collection Trust. © Her Majesty Queen Elizabeth II 2020
Pour comprendre l’origine de l’architecture, il faut revenir à notre condition « homéotherme » et à la nécessité de devoir maintenir notre corps à 37°C. Afin de garder une température constante, indépendamment des conditions extérieures, l’être humain compose entre ses moyens corporels internes que sont les différents mécanismes de thermorégulation (vasodilatation, sudation, contractions musculaires, sécrétion des catécholamines) et des moyens externes, en particulier l’alimentation, l’habillement, la migration et, bien sûr, l’architecture. Pour s’abriter des vents qui refroidissent la peau par convection, se protéger de la pluie qui accélère le refroidissement du corps par conduction ou se cacher du soleil dont les rayons brûlent par radiation, l’être humain construit des toits et parois.
L’architecture permet de confiner, entre sol, murs et plafond, une petite quantité d’air habitable, dont il devient possible de modifier la température sans trop d’efforts afin de la maintenir dans une zone de confort thermique, entre 20° et 28 °C. À l’ère moderne, l’utilisation du pétrole, la production d’électricité, le chauffage central et la climatisation, qui effacent les inconforts climatiques de l’environnement extérieur, rendent progressivement invisible la mission physiologique de l’architecture, induisant une consommation massive des énergies fossiles qui mène au réchauffement climatique. Aujourd’hui, pour faire face aux urgences écologiques, il convient de relire l’histoire de la discipline et ses perspectives sous le prisme de sa fonction originelle et fondamentale.

6 000 AV. J.C. - Apparition de l'agriculture

Comment le blé a inventé la ville

[LES TEMPLES ET MONASTÈRES COMME GRENIERS] Plan du temple E-nun-mah de la cité d’Ur, établi par sir Charles Leonard Woolley, archéologue responsable des fouilles britanniques menées entre 1922 et 1934. In Ur Excavations, vol. VI : The Buildings of the Third Dynasty, British Museum et University of Pennsylvania Museum of Archaeology and Anthropology, 1974, pl. 58. Courtesy of the Penn Museum, Philadelphie (Pennsylvanie, États-Unis). DR [LES TEMPLES ET MONASTÈRES COMME GRENIERS] Plan du temple E-nun-mah de la cité d’Ur, établi par sir Charles Leonard Woolley, archéologue responsable des fouilles britanniques menées entre 1922 et 1934. In Ur Excavations, vol. VI : The Buildings of the Third Dynasty, British Museum et University of Pennsylvania Museum of Archaeology and Anthropology, 1974, pl. 58. Courtesy of the Penn Museum, Philadelphie (Pennsylvanie, États-Unis). DR
Les premières villes naissent avec l’agriculture, au tournant du néolithique, à partir de 10 000 ans avant J.-C. Les êtres humains passent alors d’une société de chasseurs-cueilleurs nomades, migrant selon les saisons, à une vie d’agriculteurs et d’éleveurs. À l’origine de cette évolution, un adoucissement du climat. L’air humide provenant de l’Atlantique et de la Méditerranée provoque de fortes chutes de pluie dans l’ouest du Moyen-Orient : de l’Égypte à la Mésopotamie, jusqu’à Sumer et Babylone. Les plaines de ce « croissant fertile », ensoleillées et humides, se couvrent de végétation. De plus, le changement climatique fait disparaître la mégafaune (mammouths, aurochs ou éléphants d’Europe), source de protéines pour les hommes du paléolithique. La naissance des civilisations urbaines est donc liée à la présence de céréales – notamment du blé amidonnier Triticum dicoccoides, dont les grains, ne se détachant pas de l’épi, peuvent être récoltés avant qu’ils ne s’envolent – et d’espèces animales dociles, que les hommes domestiquent facilement. La ville joue depuis le rôle de grenier fortifié, dans lequel les paysans déposent leur récolte à l’abri des pillages et des aléas météorologiques. À partir du XIXe siècle, on commence à démolir les fortifications des villes, car la menace, auparavant locale, est devenue nationale. C’est désormais aux limites de chaque pays que l’on fortifie, en laissant la ville sans muraille, ouverte aux faubourgs et à la banlieue, prête à se diffuser dans le territoire alentour et à urbaniser les campagnes.

250 AV. J.C. / 400 APR. J.C - Optimum climatique romain

Ce que l'espace public doit à la recherche de fraîcheur

[LA BASILIQUE, UN ESPACE PUBLIC RAFRAICHISSANT] Le Panthéon à Rome, communément appelé « Rotonda », 126 apr. J.-C. Gravure de Francesco Piranesi, vers 1790. Coll. University of Melbourne Library (Australie), Baillieu Print Collection.
À Rome, pendant l’Antiquité, la basilique romaine civile, vaste espace couvert aux fonctions diverses – dont le commerce, la justice, la promenade –, fait office de place publique. Sa capacité à proposer de la fraîcheur pendant les chaleurs estivales lui confère naturellement un statut fédérateur. La volonté de doter chaque quartier d’un lieu frais semble s’accroître à partir de la Renaissance : en témoignent les neuf cents églises de l’époque baroque. Elles s’inscrivent naturellement dans le réseau continu des espaces publics de la ville, représenté en 1748 par le cartographe Giambattista Nolli, qui figure les espaces intérieurs des bâtiments publics au même titre que les rues et les places. Dans les climats plus froids, c’est la taverne au Moyen-Âge, le Pub et le café à partir du XVIIe siècle, qui jouent ce rôle d’espace public climatique. L’autre stratégie, mise en œuvre depuis l’Antiquité, pour tempérer rues et places est celle de planter un arbre, à l’ombre duquel les citadins ou villageois se rassemblent, définissant un modèle de lieu public ouvert, frais et protégé du soleil. Le dispositif se déploie même en forêt urbaine, comme à Bâle au XVIIe siècle. L’accès à l’énergie, à la climatisation et au chauffage central dans les espaces privés à partir du milieu du XXe siècle modifie ou rend caduque la nécessité de lieux partagés tempérés, jusqu’à l’augmentation récente des températures qui engagent les métropoles.

950 - 1315 - Révolution agricole médiévale

Comment les petits pois ont fait s'élever l'architecture gothique

À la chute de l’Empire romain, à la fin du Ve siècle, les habitants de l’Europe occidentale, dispersés sur les terres les plus reculées pour se mettre à l’abri de pillages constants, connaissent une grande faiblesse physique consécutive aux disettes et famines. La faim perpétuelle et ces faibles capacités musculaires engendrent une architecture basse et sommaire, réalisée sans dépense inutile d’énergie. Ses formes sont des réponses directes et fonctionnelles aux conditions climatiques, géographiques et physiologiques. Pendant près de 600 ans, les bâtiments sont construits en torchis, morceaux de bois et chaume. La révolution de l’an mil, qui inclut notamment l’invention de la charrue et le développement de l’assolement triennal, fait entrer les légumineuses dans l’alimentation humaine. Leur haute teneur en protéines fournit la force musculaire permettant d’élever les cathédrales parvenues jusqu’à nous. Ces édifices témoignent du lien direct et fondamental entre la forme construite, les outils et l’énergie nécessaires. À partir du XIXe siècle, le charbon et le gaz, puis le pétrole démultiplient ces capacités, qu’il faut aujourd’hui relire non seulement au regard de la dépense énergétique nécessaire, mais aussi sous le prisme des émissions de gaz carbonique liées à la construction. Ainsi, la grandeur des nefs des cathédrales gothiques doit autant à l’imagination des maçons qu’aux protéines des petits pois ; le gigantisme des gratte-ciel de la fin du XIXe siècle et des aéroports des années 2000 doit autant aux ingénieurs qu’au pétrole.

XIVe siècle - Petit âge glaciaire, première phase

Quand les arts décoratifs n'étaient pas seulement décoratifs

[À L'ORIGINE DE LA DÉCORATION] « À mon seul désir ». Sixième tapisserie de la tenture dite La Dame à la licorne, vers 1484-1500. © RMN-Grand Palais (musée de Clunymusée national du Moyen Âge)/Michel Urtado [À L'ORIGINE DE LA DÉCORATION] « À mon seul désir ». Sixième tapisserie de la tenture dite La Dame à la licorne, vers 1484-1500. © RMN-Grand Palais (musée de Clunymusée national du Moyen Âge)/Michel Urtado
[LES TEXTILES, UNE BARRIÈRE CONTRE LE FROID] Le Salon de la princesse Mathilde, rue de Courcelles. Huile sur toile de Sébastien Charles Giraud, 1859. © RMN-Grand Palais (domaine de Compiègne) / Gérard Blot / Christian Jean [LES TEXTILES, UNE BARRIÈRE CONTRE LE FROID] Le Salon de la princesse Mathilde, rue de Courcelles. Huile sur toile de Sébastien Charles Giraud, 1859. © RMN-Grand Palais (domaine de Compiègne) / Gérard Blot / Christian Jean
Jusqu’à l’avènement des techniques de régulation thermique modernes, la décoration d’intérieur joue un rôle crucial en apportant des revêtements aux surfaces internes des constructions – qu’il s’agisse des tapisseries du Moyen Âge, des boiseries de la Renaissance, ou des tentures qui doublent les murs des pièces au XIXe siècle. Au cours du XXe siècle, avec l’amélioration des rendements des appareils de chauffage, d’éclairage puis de refroidissement, permettant toutes les audaces dans les régions aux climats les plus hostiles, ce que l’on nomme « art décoratif », c’est-à-dire ce qui relève du second œuvre du bâtiment, voire du troisième œuvre, car non porteur, non structurel – est souvent mis hors du registre des missions de l’architecture. Aujourd’hui, le divorce entre décoration d’intérieur et régulation thermique prononcé au début de la modernité laisse place à une réconciliation inattendue. La lutte contre le réchauffement climatique et les réglementations récentes en matière de construction introduisent ainsi des éléments inédits d’aménagement intérieur: la laine isolante aux murs comme une réactualisation de la tapisserie, l’isolation des planchers comme un renouveau de l’art des tapis, la redéfinition de la ventilation comme un perfectionnement du principe de la cheminée, les films étanches posés sur les murs ou les « rideaux thermiques » placés devant une fenêtre comme un nouveau type de paravent ou de courtine.

XVIe siècle - Redécouverte de la médecine Hippocratique

Ce que les dômes des Lumières doivent à la peur de l'air stagnant

La conception de la santé liée à l’air que l’on respire viendrait d’Hippocrate, médecin grec né au Ve siècle. Elle se prolonge de façon tout aussi empirique au Moyen-Âge. Les brumes et fumées sont considérées comme porteuses de maladies, les atmosphères corrompues et puantes empoisonnant les gens. Ainsi, c’est un « vent féroce » qui aurait amené la peste noire en 1346 en Europe. Hippocrate est redécouvert en Italie à la Renaissance, lors des premières traductions latines de ses textes, notamment Airs, eaux, lieux. Ce véritable traité d’urbanisme explique où et comment construire les villes, en fonction des vents et de la qualité des eaux. La primauté est alors donnée à la symétrie des bâtiments et à l’alignement des fenêtres pour favoriser la ventilation. Parallèlement à la réécriture néoclassique des formes architecturales, apparaissent au XVIIIe siècle des techniques de « mécanisation du bâtiment » relatives au renouvellement de l’air. Les dômes servent d’aspirateurs à miasmes dans les hôpitaux, avant de se généraliser à tous les grands édifices publics. La théorie du mauvais air seul responsable des contagions reste répandue jusqu’au début du XXe siècle, influant notamment sur la configuration des logements collectifs. Aujourd’hui, la conception aéraulique des bâtiments a pour objectifs un contrôle précis de la quantité d’air renouvelé, la limitation des pertes de chaleur et la régulation des flux. Elle répond à la nécessité « d’architecturer » les courants d’air.

1771 - Découverte de la photosynthèse

Comment un brin de menthe invente les parcs urbains du XIXe siècle

[QUAND LE CIEL DES VILLES ÉTAIT NOIR DE CHARBON] Cheminées d’usines dans une ville industrielle d’Angleterre. Gravure sur bois de Roth, vers 1880. © INTERFOTO / Alamy Stock Photo [QUAND LE CIEL DES VILLES ÉTAIT NOIR DE CHARBON] Cheminées d’usines dans une ville industrielle d’Angleterre. Gravure sur bois de Roth, vers 1880. © INTERFOTO / Alamy Stock Photo
[DES PARCS POUR VIVRE LONGTEMPS] Victoria Park, Londres (Royaume-Uni), sir James Pennethorne, architecte, 1842-1846. Plan d’aménagement, vers 1840. © Victoria and Albert Museum, Londres [DES PARCS POUR VIVRE LONGTEMPS] Victoria Park, Londres (Royaume-Uni), sir James Pennethorne, architecte, 1842-1846. Plan d’aménagement, vers 1840. © Victoria and Albert Museum, Londres
Au XVIIIe siècle, le médecin et chimiste écossais Joseph Black établit que l’air est composé de deux gaz – que l’on appellera plus tard l’oxygène et le dioxyde de carbone. Nommant le CO2 l’air fixe, il constate en 1756 que celui-ci éteint les bougies et tue les animaux. Chimiste et physicien, l’Anglais Joseph Priestley observe quant à lui que des souris peuvent vivre plus longtemps sous une cloche fermée contenant des végétaux que sous une cloche qui n’en contient pas. Il observe également que toutes les plantes (il utilise d’abord un brin de menthe) ont le pouvoir de « nettoyer » l’air de sa part que l’on croyait toxique, c’est-à-dire de transformer l’air fixe ou méphitique (le dioxyde de carbone) en air «déphlogistiqué» : l’oxygène, découvert et dénommé plus tard par Antoine Lavoisier. Cette découverte majeure, à la base de la compréhension du mécanisme de la photosynthèse, influence les scientifiques de l’époque, qui en tirent immédiatement des leçons d’aménagement du territoire. La création de parcs en ville relève d’abord de cette volonté sanitaire : l’arbre est un « appareil » à « améliorer l’air ». À partir de la seconde moitié du XXe siècle, la connaissance des véritables facteurs de transmission des maladies réduit considérablement l’intérêt sanitaire pour les larges espaces verts plantés. Les parcs et jardins s’inventent pour satisfaire d’autres fonctions sociales et culturelles ou, plus tard, pour favoriser la biodiversité et la rétention des eaux de pluie.

1815 - Eruption du Volcan Tambora

Quand l'éruption d'un volcan crée la ville moderne

[ÉRUPTION VOLCANIQUE L'ANNÉE SANS ÉTÉ] « La marche du choléra-morbus depuis l’Inde jusqu’en Europe, 1831 ». Coll. Bibliothèque nationale de France
En 1815, l’éruption dévastatrice du volcan Tambora, en Indonésie, projette dans la stratosphère un voile de poussière qui va diminuer le rayonnement solaire pendant plusieurs années et déstabiliser l’écosystème climatique mondial. Dans le golfe du Bengale, l’absence de mousson entraîne une mutation redoutable du germe du choléra, dont l’épidémie gagne Moscou. La maladie se propage en Europe à partir de 1832. L’Irlande connaît une effroyable famine, suivie d’une épidémie de typhus. Aux États-Unis, des récoltes misérables provoquent une grave crise économique. Pour vaincre la maladie, que l’on pense dans l’air stagnant des ruelles étroites, et afin de dissiper la puanteur de celui-ci, les métropoles comme Londres et Paris lancent d’importantes transformations urbaines qui marqueront la seconde moitié du XIXe siècle, notamment la planification de larges « boulevards à vent ». Le réseau d’égouts construit sous la houlette du préfet Haussmann protège incidemment les sources d’eau potable de la contamination par les eaux usées : ainsi, le choléra épargne Paris lors des épisodes épidémiques suivants. Robert Koch découvre en effet en 1883 la bactérie responsable du choléra et son mode de transmission par l’eau. Bien qu’elle n’ait causé qu’une baisse des températures de 2 °C, comme l’a révélé Gillen d’Arcy Wood en 2016 dans L’Année sans été, l’éruption du Tambora a modifié le cours de l’histoire et la forme des villes à l’aube du XXe siècle.

[À L'ORIGINE DES TRAVAUX D'HAUSSMANN, LE CHOLÉRA] Le boulevard Haussmann, vers le n° 4, Paris 8e. Photographie de Charles Marville, vers 1877. © Charles Marville/BHVP

1820 - Découverte de la valeur thérapeutique de l'iode

Comment l'iode entraîne l'urbanisation du territoire

[UN DÉVELOPPEMENT URBAIN LIÉ A LA QUÊTE D'EMBRUNS] Le casino municipal et les bains de la grande plage de Biarritz, Photographie, vers 1901 © Neurdein / Roger-Viollet [UN DÉVELOPPEMENT URBAIN LIÉ A LA QUÊTE D'EMBRUNS] Le casino municipal et les bains de la grande plage de Biarritz, Photographie, vers 1901 © Neurdein / Roger-Viollet
La plage et le casino de Dieppe. Alexandre Durville, architecte. Autotype, 1884. © Historical Image Collection by Bildagentur-online / Alamy Banque d’images La plage et le casino de Dieppe. Alexandre Durville, architecte. Autotype, 1884. © Historical Image Collection by Bildagentur-online / Alamy Banque d’images
La plage et la maison de cure (Kursaal) d’Ostende (Belgique). Felix Laureys et Joseph-Jean Naert, architectes. Photographie, vers 1890-1900. © Neurdein / Roger-Viollet La plage et la maison de cure (Kursaal) d’Ostende (Belgique). Felix Laureys et Joseph-Jean Naert, architectes. Photographie, vers 1890-1900. © Neurdein / Roger-Viollet
La plage et le Grand Hôtel de Cabourg, Charles Bertrand, architecte, 1907. Photographie, vers 1900 © Neurdein / Roger-Viollet La plage et le Grand Hôtel de Cabourg, Charles Bertrand, architecte, 1907. Photographie, vers 1900 © Neurdein / Roger-Viollet
Au XIXe siècle, la découverte des vertus curatives de l’iode transforme des territoires relativement peu peuplés jusqu’alors : les bords de mer et les régions montagneuses. Pour permettre aux malades d’atteindre ces sites naturellement iodés, un réseau ferré se développe. Les promoteurs immobiliers des stations balnéaires travaillent d’entente avec les compagnies ferroviaires (quand ils ne font pas qu’un), encore privées – jusqu’à leur nationalisation en 1937. Ce phénomène est européen, concernant aussi Spa et Ostende en Belgique, Bad Heilbrunn en Bavière ou Hall en Autriche. En Angleterre, la ville balnéaire de Brighton est reliée à Londres par le chemin de fer en 1841, Blackpool à Manchester en 1846. En Italie, le Lido offre un rivage à Venise, et Rimini, bourg fortifié, se retourne et s’étend vers la mer en 1843, accueillant un établissement de bains et des hôtels. Avec l’introduction de l’iode dans le sel de table à partir des années 1920, les plages des mers du Nord sont délaissées au profit de celles, plus ensoleillées, du Sud, notamment la Riviera, qui attire quelques millionnaires américains dès 1923, puis les estivants à la recherche d’ultraviolets dont on sait depuis peu qu’ils préviennent le rachitisme. Dès 1936, le littoral français, qui représente 4 % du territoire national, est presque trois fois plus peuplé (193 habitants/km2) que les autres régions de France (en moyenne 77 habitants/km2). Entre 1968 et 1999, la croissance démographique y est deux fois plus importante que la moyenne nationale.

1887 - Commercialisation du ripolin blanc

Pourquoi l'architecture moderne est-elle blanche

À la suite d’une analogie inattendue – on constate que la viande séchée des Grisons, exposée à l’air extérieur et au soleil direct, est préservée de la putréfaction –, les architectes modernes cherchent à reproduire dans leurs constructions les vertus des sanatoriums du début du XXe siècle. La traduction formelle de cette ambition sanitaire prend la forme de larges baies vitrées, d’espaces aérés et de solariums en toiture pour profiter des bienfaits du soleil et des effets des vents entraînant au loin les microbes. Les bâtiments sont revêtus de peinture blanche pour deux raisons également liées à l’hygiène. On sait d’une part, depuis le début du XIXe siècle, que le lait de chaux, naturellement blanc, est un puissant antiseptique, dont on recommande l’usage pour détruire les miasmes qui s’incrusteraient dans les parois. D’autre part, le blanc réfracte les rayons du soleil, que l’on croit bactéricides, notamment contre le microbe de la tuberculose. De nos jours, on observe un regain d’intérêt pour la lumière naturelle chargée d’une énergie gratuite qui, par inertie, chauffe les maisons en hiver, réduisant ainsi leur consommation de chauffage et l’émission de gaz à effet de serre.
Il est par ailleurs intéressant de se souvenir que le cycle biologique humain est synchronisé la journée sur l’intensité et le spectre de la lumière solaire. Quant à la couleur blanche, elle se voit revalorisée non pour des raisons sanitaires mais en vertu du principe physique de l’albédo : plus la couleur d’un matériau est claire, plus celui-ci réfléchit la lumière et moins il chauffe, préservant les bâtiments et la ville des surchauffes estivales.

[LE BLANC DE RETOUR POUR LUTTER CONTRE LE RÉCHAUFFEMENT] Toits d’immeubles peints en blanc par des bénévoles dans le cadre de l’initiative NYC CoolRoofs, Le Bronx, New York (États-Unis). © Ken Cavanagh / Alamy Banque d’Images

1902 - Invention de la climatisation

Quand le pétrole fait pousser les villes dans le désert

[L'URBANISATION PAR LA DÉCOUVERTE DU PÉTROLE] Puits de pétrole à Signal Hill (Californie, États-Unis). Photographie, vers 1925. City of Signal Hill, California. DR [L'URBANISATION PAR LA DÉCOUVERTE DU PÉTROLE] Puits de pétrole à Signal Hill (Californie, États-Unis). Photographie, vers 1925. City of Signal Hill, California. DR
Le Las Vegas Boulevard et les voies ferrées réalisées par l’Union Pacific Railroad Company, Las Vegas (Nevada, États-Unis). Photographie aérienne, 1955. UNLV Special Collections & Archives. DR Le Las Vegas Boulevard et les voies ferrées réalisées par l’Union Pacific Railroad Company, Las Vegas (Nevada, États-Unis). Photographie aérienne, 1955. UNLV Special Collections & Archives. DR
[L'AIR CONDITIONNE ET LE SUD DES ETATS-UNIS] Santa Monica Boulevard, entre Beverly Hills et Westwood, Los Angeles (Californie) Photographie de 1927 Coll. Library of Congress, Prints and Photographs Division, Washington, D.C. (États-Unis). DR [L'AIR CONDITIONNE ET LE SUD DES ETATS-UNIS] Santa Monica Boulevard, entre Beverly Hills et Westwood, Los Angeles (Californie) Photographie de 1927 Coll. Library of Congress, Prints and Photographs Division, Washington, D.C. (États-Unis). DR
[L'URBANISATION DES DESERTS ET DES JUNGLES GRACE AU PETROLE] Vue aérienne de la ville d'Abu Dhabi (Emirats Arabes-Unis), Photographie vers 1960, Jorge Abud Chami. Collection, Courtesy of the Arab Image Foundation [L'URBANISATION DES DESERTS ET DES JUNGLES GRACE AU PETROLE] Vue aérienne de la ville d'Abu Dhabi (Emirats Arabes-Unis), Photographie vers 1960, Jorge Abud Chami. Collection, Courtesy of the Arab Image Foundation
Si l’on sait depuis la préhistoire comment réchauffer l’air de façon artificielle par le feu, il n’y avait, jusqu’au début du XXe siècle, aucun moyen technique de le refroidir – hormis de le mettre en contact avec de la glace, stockée depuis l’hiver dans des glacières souterraines ou acheminée par bateau de régions à climat froid. C’est l’ingénieur Willis Carrier, employé d’une entreprise américaine de ventilation, qui invente en 1902 l’air conditionné. Il parvient à contrôler le taux d’humidité et découvre par hasard qu’il peut aussi contrôler la température. Le procédé rafraîchit par convection – en soufflant l’air comme un vent –, mais il rafraîchit surtout par conduction, en faisant baisser sa température. Dès 1955, un Américain sur vingt-deux a l’air conditionné ; et, dans le Sud, c’est un Américain sur dix. Enfin, 90 % des bâtiments du sud des États-Unis sont dotés de climatisation au milieu des années 1970. Le nombre de climatiseurs sur la planète a triplé ces trente dernières années jusqu’à représenter, en 2016, 10 % de l’électricité mondiale consommée – avec les ventilateurs. Le développement urbain de la Sun Belt (« ceinture du soleil ») américaine, des « dragons asiatiques » (Singapour, Taiwan, Hong Kong et la Corée du Sud) et du Qatar, de Dubaï et d’Abu Dhabi est concomitant de l’installation généralisée de l’air conditionné à partir de la seconde moitié du XXe siècle. De même que le chauffage central l’a été lors du développement exponentiel des villes situées dans des régions à climat froid au cours des cinquante années qui ont précédé.

1950 - Vaccination obligatoire contre la tuberculose

Comment les antibiotiques ont permis un retour à la ville

Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, face à un manque important de logements et aux destructions causées par les bombardements, se posent les questions de la reconstruction des villes européennes et de leur développement. Sous l’égide d’Eugène Claudius-Petit, ministre de la Reconstruction et de l’Urbanisme, la reconstruction française est lancée en 1948, basée sur le modèle urbain moderniste, dans le but de résoudre rapidement l’insuffisance de logements et leur insalubrité. De nombreux quartiers et habitations sont encore sans eau courante, sans chauffage, ni toilettes. Inspiré de la charte d’Athènes, résultat du IVe Congrès international d’architecture moderne (CIAM) tenu en 1933 sous l’égide de Le Corbusier, ce programme se fonde sur trois éléments fondamentaux : air, soleil et verdure. L’air pour évacuer les miasmes, le soleil pour bénéficier des rayons UV et la verdure pour purifier l’atmosphère et se divertir. Les immeubles doivent être très espacés les uns des autres et ne plus s’aligner sur les rues, afin de laisser passer généreusement les vents et la lumière naturelle, censés dissiper les microbes et prévenir les maladies. Ces principes guident la réalisation de millions de logements en périphérie des villes. Pourtant, la découverte des antibiotiques, comme la streptomycine isolée en 1943, et la vaccination contre la tuberculose, obligatoire dès 1950, rendent caduques les fondements sanitaires de l’urbanisme moderne. Les années 1970 marquent alors un retour à la ville et à ses formes vernaculaires et classiques.

1997 - Protocole de Kyoto sur les changements climatiques

Et si le CO2 initiait une prise de conscience architecturale

[LE LIEN ENTRE ARCHITECTURE ET CLIMAT REACTIVÉ PAR LE RECHAUFFEMENT CLIMATIQUE] Évolution de la température globale depuis 10 000 ans. Sources EPICA, Dome C, Antartica / NASA Goddard Institute for Space Studies / Alfred Wegener Institute climate model © Philippe Rahm architectes, 2020
Le fondement de l’architecture est climatique, elle doit soustraire un fragment d’air à l’atmosphère terrestre, en le contenant entre des murs, un sol et un plafond, et l’acclimater pour le rendre
habitable. Sa finalité est aujourd’hui à nouveau climatique, à savoir lutter contre le réchauffement du climat en maîtrisant l’isolation thermique, le chauffage et les autres sources d’émissions de CO2. Les outils de l’architecture, eux aussi, peuvent devenir climatiques plutôt que relevant uniquement de la géométrie. L’air, la lumière, la chaleur, l’humidité constituent les nouveaux matériaux de l’architecture, à côté de la brique, du bois, de l’acier ou du béton. Les paramètres météorologiques de l’espace, comme la convection, la conduction, l’évaporation sont les nouveaux modes de composition de la forme architecturale, à côté de la symétrie, de l’alignement... Car l’objet de l’architecture est en réalité non pas le plein, ce que l’on voit, mais bien l’invisible, le vide, l’espace dont il s’agit de modifier les caractéristiques physiques (température, hygrométrie, mouvements de l’air, nature des gaz) et les conditions lumineuses (lumière visible, infrarouges, rayonnement ionisant et non ionisant), dans le but de fournir à l’homme un espace habitable, vivable. L’ambition est le passage aux énergies renouvelables, en lieu et place des énergies fossiles (représentant encore 85 % de la consommation actuelle) qui permettra de se chauffer l’hiver et de se rafraîchir l’été, sans conséquence sur le climat globale de la planète.

[DE LA NÉCESSITÉ D'ISOLER THERMIQUEMENT LES BÂTIMENTS] Maison à faible consommation d’énergie. Sources Minergie-Suisse / Passivhaus-Allemagne © Philippe Rahm architectes, 2020

Manifestation avec le soutien de